mardi 19 décembre 2006

74° La Flûte Enchantée


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Voilà un film quelque peu déconcertant, d’autant plus que son auteur, Kenneth Branagh, reconnaît volontiers dans ses interviews qu’il ne possède à priori aucune compétence particulière en matière d’opéra. Ce qui ne semble heureusement pas le cas de son adaptateur Stephen Fry, acteur, auteur et touche à tout que l’on retrouve dans le rôle principal de l’excellent et révolutionnaire « V comme vendetta », co-scénariste et narrateur dans les trois Harry Potter, et dans un grand nombre de positions clés d’une filmographie qui remplit plusieurs pages.

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Déconcertant parce que chanté en anglais, effet qui, ajouté à des décors de jeux vidéo, le font furieusement ressembler à une comédie musicale. Mais est-ce un défaut ? L’accessibilité à tous les niveaux, les multiples degrés de lecture de la musique de Mozart n’offrent-ils pas à Branagh et Fry une occasion rêvée de faire entrer Mozart dans des esprits ou des cultures où il n’avait jusqu’ici aucune place ? Une reine de la nuit qui entre sur scène debout sur un char d’assaut et se met à voler façon Harry Potter restera dans les annales de la mise en scène. Mais tout cela passe très bien parce que le cinéma permet de s’évader de la scène théâtrale et précisément de transformer une scénegiature en comédie musicale.

Sans doute va-t-on retrouver là ma passion pour les comédies musicales, et sans doute aussi vais-je faire hurler les puristes, mais une fois passés au début le malaise de la langue anglaise, très pauvre et qui multiplie les répétitions, et certains bruits de décorum (les avions, la guerre) qui se superposent à la musique, (mais pas aux voix), on entre dans l’œuvre sans problème et on la vit avec intensité.

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Car même les intégristes de l’opéra doivent bien reconnaître qu’une œuvre portée à l’écran, qu’il soit de cinéma ou de télévision, si elle perd peut-être d’un côté cet aspect scénique sur lequel se base précisément leur intégrisme, gagne par ailleurs, notamment par l’adjonction de sous-titres, une accessibilité qui permet au modeste quidam de la vivre intensément sans connaître forcément le livret in extenso dans la langue d’origine…

La charge symbolique de l’œuvre est aussi diversement représentée. L’ouverture originale, qui illustre « l’ordo ab chao » est orchestrée à l’origine avec une première partie molle et dissonante qui se ressaisit après les trois fois trois coups qui signifient pour Mozart et son librettiste Schikaneder, tous deux franc-maçons, le passage du profane au sacré et l’ordonnancement de l’univers suivant la raison qui prend le pas sur les passions. Dans le film, l’orchestration dissonante du début a été quelque peu « repeignée » et la transition se trouve du coup fortement estompée. Peut-être est-ce aussi parce que Branagh entre d’emblée dans l’image par l’illustration graphique de l’ouverture sans générique de début, et se trouve fort dépourvu pour mettre du son sur l’interminable générique de fin, les opéras ne comportant pas de «musique de fermeture ». Alors, il réutilise l’ouverture, ce qui la prive de son sens symbolique. Il aurait pu se payer deux orchestrations, l’originale pour le début, et la version « repeignée » pour la fin. Il en avait manifestement les moyens mais il ne l’a pas fait.

Les épreuves initiatiques du silence et les purifications par les trois éléments figurent dans le livret, et sont mis en scène avec application, mais on sent que l’insistance de Branagh se focalise sitôt l’exposition du conflit, sur l’instauration de la paix universelle, de la concorde et de la réconciliation, du triomphe de la raison sur les passions et de la fraternité sans frontière qui sont dans l’esprit de Mozart, militant de la perfection, les fils d’Ariane de l’œuvre. (Mozart meurt deux mois après la première de la Flûte Enchantée en 1791 à Vienne. L’œuvre est considérée comme son testament…)

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Faut-il rappeler qu’en maçonnerie, l’obscurantisme et l’ignorance sont symbolisés par l’obscurité, et le savoir, la sagesse et la connaissance par la lumière. Or je ne sais pas où les exégètes ont été trouver que le film plaçait le conflit « pendant la guerre de 14 », si ce n’est par les modèles de canons et de tanks stylisés et l’usage de gaz incarnant très habilement la mort qui rôde. (un serpent dans le livret original) Je les situe bien davantage dans un pays légendaire et hautement symbolique illustré par les décors en jeux video. Par contre, l’affrontement, entre la reine de la nuit, assoiffée de vengeance et Sarastro, prince de la lumière, réincarnation de « Zoroastre », le face à face du bien et du mal, richement orné de symboles et de décors adéquats, ne laissent aucun doute sur la bonne compréhension du message de Mozart par l’auteur du film.

Globalement, le film mérite parfaitement d’être vu. Si ni les interprètes ni l’orchestre ne sont des divas internationales, ils sont tous largement au-dessus du convenable, et rien ne choque dans la qualité artistique. Les gros plans et les sous-titres emmènent le spectateur dans ce monde de contact étroit avec les protagonistes, par-dessus la fosse d’orchestre. L’oreille reste à l’opéra, les yeux sont au cinéma.

Photos © Les Films du losange.

On déplorera l’avarice du distributeur en la matière… (seulement 6 photos disponibles, peu représentatives) ajoutées… à la panne de son site officiel, au moins au moment où j’ai rédigé cet article…)

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