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Dans l'esprit des fondateurs de la République, et de Cambacérès qui lui donna sa devise Liberté, Égalité, Fraternité , il s'agissait d'organiser le pays de manière à ce que chacun, en dépit des hasards de l'existence, puisse compter sur une solidarité nationale, la fraternité, pour jouir d'un mode de vie convenable.
Hélas, cette glorieuse maxime suit le destin de sa transcription dans le marbre au fronton de nos édifices: on la classe de plus en plus monument historique, ce qui contribue largement à la vider de son sens.
La priorité n'étant plus à la recherche du bonheur universel, mais à la rentabilité, on a procédé petit à petit à quelques aménagements. Déjà, avec l'aide des religions, on avait jugulé les détournements d'énergie du travail. Un travailleur qui a copulé toute la nuit étant vidé de ses forces pour le travail du lendemain, on lui avait interdit tout orgasme qui ne rembourse pas la société par la fabrication d'un petit travailleur ou d'un petit soldat. Exit pèle mêle contraception, planning familial, sodomie, masturbation, homosexualité, recherche du plaisir, bref tout coït improductif.
Ces saines bases étant posées, on s'était un peu laissé aller. En un siècle, on avait aboli l'esclavage, autorisé les syndicats, codifié le travail, réglementé l'exploitation de l'homme par l'homme. On avait été jusqu'à réduire la durée de travail hebdomadaire On s'était même mis à soigner les grands malades avec la ressource commune! !.. La répartition du travail étant devenue problématique, il avait fallu envisager que la condition de chômeur cesse d'être honteuse, et donne lieu à indemnité. On avait presque cru un peu au bonheur !
Les moins bornés s'étaient même aperçu que le problème pour le futur n'était plus de produire, -les machines le font très bien-, mais de vendre les produits, ce qui supposait de payer des gens non plus à produire, critère périmé, mais à ne rien faire et consommer, ce qui devenait la nouvelle nécessité.
Faire payer un salaire aux machines pour en faire profiter le braves gens, ça ne pouvait pas plaire à tout le monde. Alors, nous sommes entrés dans l'ère du retour de manivelle.
S'attaquer aux improductifs. Aux pas rentables. Saper la stabilité, instaurer la précarité, démolir l'honorabilité des laissés pour compte. La première étape a été de créer le concept « d'assisté ». L'emploi de ce mot pour désigner un chômeur est une invention de Raymond Barre. A l'inverse de toutes les conceptions républicaines, le travailleur en panne jusqu'ici secouru par la collectivité est maintenant qualifié « d'assisté » par la honteuse assimilation à un cas d'abus du système -il y en a toujours-, que la propagande a soigneusement monté en épingle.
Ces délinquants en col blanc ont-ils seulement la notion de la cruauté de l'insulte ainsi proférée à l'endroit d'un homme de bonne volonté, qui cherche sans le trouver l'emploi que son insulteur a délocalisé sans vergogne, l'idée du dépit de cet honnête homme qui reçoit ce crachat au visage: assisté. Boulet, inutile. Rien que cela aurait justifié à mes yeux un vaste mouvement populaire. Je suis chatouilleux? Pas tant que ça: regardez où nous en sommes, maintenant.
Deuxième étape: diminuer les protections: indemnités dégressives, mobilité obligatoire, refus du libre choix du nouvel emploi. Le chômage ne diminue pas, c'est le nombre de ceux qui remplissent les conditions de plus en plus exigeantes pour être reconnu comme chômeur qui diminue, au détriment du nombre des miséreux, qui lui, explose.
Troisième étape: Soigner les malades guérissables... oui à la rigueur si on peut les remettre rapidement au boulot. Mais les ALD, ces affections longue durée, ces boulets qui ne rapportent rien, persistent à vivre malgré tout, à manger à tous les repas et à habiter dans des maisons, et ne font même pas un bon esclave, non! Faut pas exagérer. On a changé de société, vous n'avez pas remarqué?
Car enfin, parlons clair: pour la plupart des malades en affection longue durée, les médicaments de confort, ce ne sont pas des cachets d'aspirine! C'est la seule manière de supporter les effets secondaires douloureux et invalidants des traitements de fond. Supprimer l'accès à ces médicaments, c'est mettre en cause le recours au traitement principal. Il ne faut pas prendre le mot « confort » au sens qu'on donne au moelleux d'un canapé. Ces « traitements de confort » permettent de supporter un peu mieux l'insupportable.
D'autant plus que la rentabilité de ces braves gens étant bien évidemment diminuée par leur maladie, leurs salaires le sont aussi, et nombre d'entre eux ne peuvent pas se payer de mutuelle!
Quand je vois les questions qu'on m'a posé à moi, bien portant, pour proroger la mutuelle de mon employeur après mon départ à la retraite, j'imagine celles qu'on doit poser à un malade chronique... et le montant de la cotisation qui doit en résulter!
D'après Aides et Act-Up, un malade du sida sur deux serait en dessous du seuil de pauvreté. Retirer les médicaments de confort à un tel malade, c'est le faire renoncer à son traitement de fond... Belle économie. Adopter une telle mesure, ce ne serait plus de la gestion, mais une extermination programmée. Une sorte de solution finale.
La façon de mettre la mesure sur le tapis inspire également de nombreux commentaires. Alors que quelques angéliques s'étonnent encore qu'il puisse y avoir aux responsabilités des gens capables de pondre des mesures à ce point scélérates, d'autres analysent le buzz et en révèlent toute la perfidie: On déballe le truc, on laisse exploser le scandale, on s'empresse de dire que ce n'était qu'une idée en l'air, et on remballe le sujet. Hop! Oublié ! Deux jours après, c'est comme si l'information n'avait jamais existé. Une sorte d'image médiatique subliminale.
J'y vois en réalité une sorte de pose de banderilles, premier acte d'une mise à mort programmée. La victime est plus facile à posséder qu'on l'a rendue consentante. De la psychologie appliquée à « Histoire d'O et au syndrome de Stockolm, il y a un lien de continuité entre le premier coup porté « au hasard » et le coup de grâce.
Le projet n'est pas enterré: alien est en gestation. Il ressortira un jour d'été, pendant la sieste.
La grande compétence des communicateurs de ce qu'il faut bien maintenant appeler le régime est prise là en flagrant délit de ses plus hautes oeuvres, les ingrédients bouillonnent dans l'athanor: la transmutation de l'homme libre en esclave va s'opérer. Les non à répétition opposés à l'Europe et toujours annulés par les parlements sont comme autant de soubresauts de l'agonie de nos libertés.
Mai 2008 est passé. Quel rêveur a dit qu'un service public était fait pour être un service et pour être public? Et qu'il faudrait prendre l'argent où il était pour assurer la solidarité républicaine?
Vous vous rappelez du bon temps où on donnait à manger aux pauvres, où on les recasait du mieux qu'on pouvait? Maintenant, on fabrique les pauvres et on les laisse crever. Vous vous rappelez du bon temps où on soignait les malades, où chacun apportait son petit bout de remède un peu au hasard pour essayer de soulager la souffrance de celui qui n'y arrivait plus tout seul? Depuis, on a fait des grands progrès: on sait de quoi on meurt! Mais on meurt quand même. On soigne quelques riches pour montrer qu'on sait faire, mais des médicaments de confort aux pauvres! Restons sérieux. Que vont dire les actionnaires?
Nous vivons une époque formidable.
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