samedi 6 octobre 2007

124° Tabou, sur France 2, les nouveaux visages de la lutte pour les droits des gays.

Lorsqu’on raconte l’histoire de l’homosexualité, on est rapidement confronté à cette triste évidence : notre histoire se confond étroitement avec celle des persécutions dont nous avons été et sommes encore les cibles. Référons nous au terrifiant livre de Maurice Lever « Les Bûchers de Sodome » paru chez Fayard en 1985.

Quand j’étais gamin, les rares rescapés homos des camps de la mort ne pouvaient prétendre aux réparations que les associations de déportés obtenaient laborieusement. Les triangles roses avaient une place dans les camps, ils n’en avaient plus aucune dans le monde d’après guerre où le premier des amendements Mirguet, s’ajoutant aux malédictions de Pétain encore en vigueur, classaient l’homosexualité au nombre des fléaux sociaux avec la tuberculose et l’alcoolisme. Ils n’avaient survécu que pour raser les murs. J’en ai connu un dans les années 60. En 62 si je me souviens bien. J’avais 15 ans, lui 42. Je l’ai connu trois mois avant qu’il ne décède d’un délabrement général dû au typhus qu’il avait contracté à Flossenburg.


J’avais fait sa connaissance en séduisant son petit copain, un garnement de mon âge. Il refusait de nous raconter les détails sordides de sa déportation. Il est mort en nous demandant de construire un monde de paix et de ne jamais nous battre qu’avec notre intelligence.

www.triangles-roses.org/annees_noires1.htm.

Il avait dû la survie à sa présence dans l’usine Messerschmitt toute proche au moment où les Allemands décidèrent d’évacuer le camp vers nulle part à l’approche des Américains. Les évacués périrent sur les routes. Lorsque les libérateurs découvrirent quelques triangles roses, qui étaient presque tous allemands, ils les considérèrent comme des détenus de droit commun et les remirent à la police allemande qui continua à les emprisonner au titre de l’article 175.

L’homme avait eu, si je puis dire, de la chance dans son malheur. Il avait réussi à prendre la place et la défroque d’un mort à étoile jaune pour aller travailler à Messerschmitt alors que les triangles roses allaient, eux, à une carrière de pierres où ils mourraient bien plus vite qu’à l’usine. C’est à cette étoile jaune qu’il dut d’être rapatrié en France, où il ne put faire illusion plus longtemps, car il ne figurait sur aucune liste de déportés juifs et ne fut pas reconnu comme tel. Osa-t-il le réclamer ? Essaya-t-il seulement ? Son tatouage l’aurait sans doute trahi… Il s’estima juste heureux d’être revenu.

On se plaint aujourd’hui des classes de 30 élèves. A l’époque, dans ma ville de l’est, nous étions plus de 50 par classe à la petite école et jamais moins de 40 au lycée. Il y avait le baby boom d’après guerre dont j’étais un fleuron, les écoles bombardées et pas reconstruites, et celles qu’on ne construisait pas, l’essentiel de l’effort de construction étant réservé à l’érection des barres de HLM dans le programme de résorption des bidonvilles qui étaient encore légion. Bref, les proportions de la nature étant respectées, il y avait cinq pédés dans ma classe du lycée, (des vrais, je ne compte pas les « touristes »). J’en suis le seul survivant. Les quatre autres se sont suicidés entre 15 et 20 ans, en laissant à leurs parents la fameuse lettre « Vous ne pouvez pas me comprendre ». Moi, je pouvais comprendre, mais que pouvais-je dire et faire à l’époque ?

Jamais je n’ai envisagé de suicide. Je ne comprenais pas cette échappatoire. Ma détestation de l’inégalité m’empêchait de partir avant d’avoir résolu le problème. J’avais l’impression que mes amis avaient été tués, assassinés. . Je ne pouvais pas les imaginer dans leur geste fatal. Je regardais leurs tortionnaires, nos tortionnaires, j’avais les mêmes, les grandes gueules de la classe, leurs parents, les proviseurs et autres censeurs comme des assassins scandaleusement impunis. La haine m’habitait.

Mon réflexe à moi était de foncer dans le tas, un peu comme un joueur de rugby plonge dans la défense adverse avec son ballon sous le bras en sachant très bien qu’il n’ira pas au but, mais que grâce à lui, son camp gagnera quelques mètres.. Alors que je suis d’un naturel non violent, j’ai appris à me battre physiquement pour me défendre. Aptitude que je me suis empressé de perdre dès qu’elle n’a plus été nécessaire. Ce n’est jamais pour homosexualité ni pour aucune sorte d’inconvenance -on ne parlait pas de ces choses-là-, mais pour violence que j’ai été viré de plusieurs lycées et collèges. Tout au plus pour « incompatibilité d’humeur avec mes camarades ». Jusqu’à ce que je trouve enfin dans un « établissement confessionnel » un havre de paix et de « tolérance » qui me permit de terminer mes études dans la paix et le plaisir partagés, les pratiques en cours dans ce petit paradis n’étant pas toutes à proprement parler d’ordre religieux.

Si vous vous demandiez comment j’étais devenu militant de la première heure, vous le savez, maintenant. En fait, je ne savais pas comment clamer à la face du monde que j’étais un type parfaitement normal, et que l’homosexualité était en moi aussi naturelle que l’hétérosexualité chez les autres. A une époque où on croyait que c’était une maladie, on me prenait pour un dément doublement dangereux, puisque je prétendais être normal. Ce qui me valut quelques expériences uniques, comme des copains supposés hétéros qui s’offrirent à moi pour me démontrer qu’ils resteraient insensibles à mes bons soins – ils perdirent leur pari-, ou d’autres qui m’offrirent leur copine, ce qu’ils regrettèrent aussi car la chose se déroula sans incident et même avec un enthousiasme partagé, et ils furent tout déconfits de m’entendre dire en leur rendant leur conquête épanouie : « les filles, pour la chose, ça peut aller comme alternative, c’est pour le reste que ça ne va pas ».

C’est en mai 68 que je débarquai à Paris, par hasard : c’était l’heure de ma première permission militaire, et je découvris l’Odéon occupé, le FHAR à l’amphi des Beaux Arts et d’autres indices qui m’indiquèrent qu’il y aurait peut-être une lumière au bout du tunnel. Dès la fin de mon armée, l’année suivante, je quittai donc mes parents avec qui plus rien n’allait pour m’installer à Paris.

Existe-t-il une association à laquelle je n’ai pas appartenu ? FHAR, CUARH, GLH, etc… Même Arcadie m’a compté dans ses rangs. Si : j’ai toujours détesté les associations récupératrices, notamment celles qui essaient de réconcilier les gays avec leurs ennemis de toujours, la religion et la droite. Quand on me dit une fois d’aller me faire voir, je me le tiens pour dit.

A l’époque, militer consistait à dire : « Nous sommes des braves gens, seriez-vous assez aimables pour cesser de nous casser la gueule ? ». Démonstration difficile à faire devant une France profonde qui lança des ordures et des bouteilles sur la première gay pride rue Saint Antoine en 1982. C’est dire dans les années 60…

Il y eut les premières émissions sur le sujet : à la radio d’abord : Menie Grégoire interrompue au bout de 10 minutes à la Salle Pleyel dans son émission sur RTL : « L’homosexualité, ce douloureux problème » le 10 mars 1971. J’y étais. Je m’y suis foulé la cheville en enjambant la rampe pour monter sur la scène.

http://www.france.qrd.org/media/revue-h/001/probleme.html

Puis en 1975 « Les Dossiers de l’Ecran » d’Armand Jammot, avec Roger Peyrefitte, Yves Navarre, Jean Louis Bory, mais aussi un psychiatre et un prêtre à qui Bory avait dans les coulisses demandé s’il avait été invité pour ses compétences particulières sur le sujet. On projeta le film glacial de Jean Delannoy tiré des « Amitiés particulières » de Peyrefitte.

Là, je n’y étais pas. Je tentai bien de m’y introduire, mais je ne faisais pas le poids. Aucun des représentants de l’homosexualité radicale ne fut invité. Rien que le titre des « amitiés particulières » me donnait la nausée : On faisait fausse route : c’est en démontrant justement que nos amitiés n’avaient rien de particulier, mais étaient au contraire parfaitement normales qu’on ferait avancer notre cause.

De toute l’émission, la seule phrase positive fut celle de Bory qui fit observer que s’il lui était facile d’être homo en tant que critique de cinéma dans le milieu parisien, qu’en était-il des homos dans les banlieues, les usines, les villages, les petits bourgs de province dont les rideaux s’écartent à votre passage lorsque vous marchez, tout seul, dans les rues vides ?

La suite de nos progrès : les gay pride de plus en plus importantes, considérées enfin à juste titre par nos autorités comme des défilés de bulletins de vote, différents lobbys qui ont amené petit à petit la modification de la loi, et maintenant le nouvel enjeu : bousculer les traditions de notre société avec le mariage et la parentalité.

A cet égard, l’émission « Tabou » programmée sur France 2 Mercredi 26 septembre dernier est révélatrice. A voir son film annonce, je m’attendais au pire : on y voyait deux plumes dans le cul de la gay pride en occuper la moitié des quelques secondes. Sans doute l’auteur du film annonce était-il quelque beauf à l’ancienne qui n’avait pas vu l’émission, qui fut, elle, une agréable surprise. Les plumes dans le cul n’y occupaient pas plus des trois secondes du film annonce, ce qui, dans une émission de deux heures, les remettait à leur vraie place.

Issue de France 5 où elle avait créé « Les maternelles », Karine Le Marchand conduit cette année plusieurs émissions sur France 2 dont Tabou. C’est la première de l’émission et l’homosexualité son premier sujet. Jeune, dynamique, agréable, spirituelle et rebondissante, elle mène son plateau avec intelligence.

Evidemment, on n’évite pas la présence d’un people sur le plateau. On ne sait plus faire une émission sans un « people ». Là c’était Bruno Solo, et ma foi, nous sommes plutôt bien tombés. On aurait pu avoir Mireille Matthieu, très en forme depuis ses roucoulades de la place de la Concorde.

L’émission survole assez rapidement le grand problème « homosexualité innée ou acquise ». Stéphane Clerget, psychiatre de son état, (on ne les évite pas encore complètement, on fait juste évoluer le point précis sur lequel on les consulte) ne se prononce pas, et il a raison. La communauté gay elle-même est divisée sur ce point, même si l’acquis semble l’emporter chez les observateurs « non-médicaux ». (C'est-à-dire ceux à qui le contraire ne rapporterait rien…)

Puis on s’attarde sur ce fameux centre de Montpellier qui « remet en selle » les jeunes gays en difficulté familiale. Il y a à Montpellier un épicentre de communication sur le sujet qui ne recueille pas forcément tous les suffrages, mais semble « médiatiquement » incontournable.

En tout cas, il fallait parler des adolescents virés de chez eux pour homosexualité, du suicide dans cette tranche d’âge, et on l’a fait.

Puis l’émission tourne sur l’homoparentalité, qui est le cheval de bataille, « La » « revendication du XXI° siècle », en classant un peu vite les persécutions au rang d’épiphénomènes en voie de disparition.

Là, on a peut être zappé un sujet encore d’actualité, attendu que les associations estiment que moins d’un acte d’homophobie sur mille est répertorié. Il faut qu’il y ait coups et blessures graves ou pire pour que l’agression soit qualifiée d’homophobe. Et encore… C’est oublier tous ceux qui supportent quotidiennement les regards obliques, les railleries, les injures, refus de service, harcèlement professionnel, de voisinage, et autres dérives qui sont le lot quotidien des gays modestes, banlieusards, provinciaux, non émancipés, prisonniers d’un carcan social.

Bref, nous voilà déjà sur l’homoparentalité. Certes, au niveau de la conquête de nos droits, c’est là le dernier bastion à conquérir, le dernier verrou d’inégalité à faire sauter.

Car, au risque de contredire les sbires de Sarkozy qui nous concoctent un « CUC », le mariage spécial pédé, et GayLib où UMPédés nous tirent dans le pied en le soutenant avec enthousiasme, je rappelle que la conquête de nos libertés a consisté pendant quarante ans à retirer une par une toute exception homosexuelle de la loi française. Cela a été les limites d’âge de consentement qui n’étaient pas les mêmes pour les hétéros et les homos », les clauses des baux de location qui imposaient de « jouir des lieux en bon père de famille », etc, etc…

C’est dire que la réintroduction dans nos textes d’une exception homosexuelle telle que le CUC est un cadeau empoisonné, une régression sur la voie de nos 40 ans de lutte. Voilà ce qu’il en coûte de laisser la droite gérer soudain un sujet dont elle a été l’ennemi le plus radical depuis Pétain. Une évolution ? Tu parles ! Une récupération, un emballage cadeau au moment où nous approchons du but. La bourrée auvergnate : trois pas en avant, deux pas en arrière.

Malgré cet avatar, l’homoparentalité est incontournable parce qu’elle n’a pas attendu la loi pour exister : on estime à 200 000 le nombre d’enfants français actuellement élevés par un ou deux parents homosexuels. On ne sait pas les compter précisément parce qu’aucune disposition légale ne permet de les reconnaître (mais est-ce souhaitable ?) mais surtout parce qu’ils réussissent aussi bien que les autres et qu’aucune anomalie n’entache leur évolution.

Car une disposition qui permettrait de les reconnaître, (ce ne serait même pas le CUC qui exclut l’homoparentalité) aurait pour conséquence de les marquer au fer rouge exactement comme le CUC étiquettera ceux qui le contracteront.

La seule voie possible de l’égalité, c’est la suppression totale de toute mention « d’identité de sexe et de genre » des lois concernant le mariage, l’adoption et la garde d’enfants, et la radiation de l’homosexualité comme cas de divorce au titre de la loi contre les discriminations.

Lorsqu’une seule et même loi gouvernera tous les Français sans leur demander avec qui ils couchent, alors, l’égalité règnera. Tout le reste n’est que dérive, détour, voire digression parfaitement calculée.

Ce que je regrette, c’est que cette émission ne se soit pas adressée à tous les jeunes gays qui regardent les militants de ma génération au mieux comme des anciens combattants, des coussins à médailles, des sortes de reliques d’une guerre à jamais terminée. Ce serait dommage pour eux que ce soit à un quarteron de skinhead rencontré en sortant de boîte dans un couloir de métro qu’ils doivent la révélation de ce que la guerre n’est pas terminée.

Le 31 janvier 1999, il y a moins de dix ans, une manifestation réunissant cent mille personnes, toutes religions confondues, -autant dire des gens qui se font la guerre d’habitude mais que seule la haine homophobe est assez fédératrice pour réunir-, (on a vu pareil amalgame se réitérer contre la Gay Pride de Moscou) défilait dans Paris, -avec dans ses rangs une ministre de l’actuel gouvernement- pour protester contre le vote imminent du PACS, aux cris de « A mort les pédés », « Vous nous faites chier avec votre sida », « Pédés retour à Auschwitz » et autres gracieusetés contre lesquelles, à l’époque, aucune loi ne nous permettait d’agir.

http://membres.lycos.fr/uni/album/index.htm

Dans les quinze dernières années, douze propositions de loi ont été déposées tant au Sénat qu’à l’Assemblée tendant à rétablir les discriminations de Vichy et de Mirguet en matière d’homosexualité. Plus de 200 députés de l’actuelle majorité ont signé une pétition « s’opposant à toute disposition tendant à accorder des droits supplémentaires aux homosexuels », censée prévenir l’éventualité d’un projet de loi sur le mariage et l’homoparentalité. L’un d’eux condamné plusieurs fois en première instance et en appel pour propos diffamatoires à l’égard des homosexuels s’apprête à recevoir l’investiture de la majorité en vue des prochaines élections. Il y a le feu au lac au point que Pierre Mauroy, président de la communauté urbaine de Lille-Roubaix-Tourcoing, chez qui le fâcheux a fait son nid, s’en est ému devant les médias. Mais le PS communiquait déjà si mal quand il existait…



Non, la guerre n’est pas terminée. La liberté, c’est le contraire de la pile Wonder : elle s’use si on ne s’en sert pas. C’est une fleur fragile et délicate qu’il faut entourer de soins constants et dont il faut veiller à la perpétuation. Profitez de votre liberté, mais ne soyez pas insouciants, jeunes gays : l’ennemi n’a pas désarmé, et il ne désarmera pas. La droite soigne son électorat, La religion veille, les sectes s’installent dans le Marais. Nous faisons la fête sous un ciel d’orage.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai apprécié avec intérêt cet article,il m'a laissé sans voix pendant quelques instants mais il m'a fait réfléchir.Je ne puis dire pour l'instant ce que je ferai demain... S'il y a une phrase qu'il faut retenir ce serait (pour moi)"Lorsqu’une seule et même loi gouvernera tous les Français sans leur demander avec qui ils couchent, alors, l’égalité règnera." Vous êtes un écrivain. Vos thèses, vos arguments, vos exemples sont des pierres précieuses...mais vous ne vous contentez pas des les montrer ! Vous les travaillez jusqu'à les faire briller, les sertir ! Vous êtes un bijoutier de l'écriture ( pardonnez mon exaltation, mais je viens de vous lire...) Pourquoi je ne trouve pas votre signature dans les plus grands journaux Français ? Et encore, je peux dire que certains écrits publiés sur le sujet que vous évoquez ne vous arrive pas à la cheville ! C'est peut être ça la réponse. Nous faisons la fête sous un ciel d’orage. Oui, vous au moins vous ne dépendez pas d'un financier, vous dites ce que vous pensez.Bravo, nous avons grand besoin d'hommes comme vous.

Jacques de Brethmas a dit…

Merci, n'en jetez plus.

C'est tout simple.

Les médias doivent vivre; ils ont des annonceurs qui ne sauraient cautionner une ligne éditoriale contraire à leurs intérêts, et leur intérêts, c'est quoi? Le bâtard qu'aurait eu une ménagère de moins de cinquante ans avec un gestionnaire de portefeuille boursier.

Dans l'édition, c'est un peu différent. Le livre se porte mal, pour cause de diversification du support de l'instruction et de l'information, qui engendre un illettrisme grandissant de la population. (Comparez les blogs de skyblog avec les journaux intimes de notre enfance...)

Alors, on édite plutôt les gens déjà célèbres pour autre chose, même s'ils n'ont rien à dire: ça économise la publicité. Tout est bon pour être célèbre, sauf avoir des prétentions littéraires. Les tisanes et le cul dans la bassine voisinent avec les mémoires des anciens criminels et des anciens flics, les brûlots opportunistes des ténors politiques, les histoires des fils d'untel et des filles de tel autre, les promesses d'amaigrissement, les états d'âme de quelque chanteur en délicatesse avec le fisc et la tant attendue révélation des secrets de Polichinelle.
Quand les éditeurs ont programmé tout ça, il reste un peu de sous pour les nouveaux pensums des rares auteurs reconnus qui veulent vivre de leur plume, un petit créneau pour leurs copains, neveux et nièces et le programme éditorial est bouclé.
Si vous ajoutez à cela que tout ce qui passe la porte d'une librairie est passé sous le rabot d'un avocat spécialisé, -c'est une profession à parts entières maintenant-, eh bien on cherche encore "le premier qui dit la vérité"...

Pourquoi parlait-on du siècle des lumières? Parce que ce qui s'y disait, ce qui s'y écrivait, était le fruit d'une réflexion souvent si novatrice qu'elle avait des problèmes avec l'institution.

Maintenant, la parole publié n'est plus le fruit d'un recherche, l'aboutissement d'un raisonnement pur, le triomphe d'une pensée objective. C'est un produit qui doit répondre aux normes du marketing. Le livre n'est qu'un emballage: il ne doit plus promettre le savoir mais clignoter en tête de gondole avec l'air de vouloir sauter dans le caddie. Ce qu'il contient n'y est plus pour grand chose.

Voilà pourquoi notre culture est muette.

Jacques de Brethmas a dit…

J’oublie carrément un paragraphe :

De même qu’il ne suffit plus d’être dans son droit pour avoir raison devant la justice, -il faut un avocat-, il ne suffit plus d’avoir une bonne idée ou une bonne intention pour faire progresser notre condition. Tout étant réduit à l’état de produit, il faut un « porteur » du produit.

Les gens à qui nous confions le soin de faire avancer nos idées –pardon, nos « produits »- s’appellent des « hommes politiques ». Nous, nous cultivons notre humanisme, eux, ont une carrière à faire.

Les humanistes devraient devenir politiciens pour tenter de réaliser leurs idées. Ils y parviennent difficilement, car le métier nécessite une aptitude au mensonge qu’ils n’ont pas.

Les politiciens rêvent de devenir humanistes pour avoir quelque chose à dire, mais ils ne sont rien sans des sponsors pour lesquels l’humanisme est une foutaise.

La transgression est difficile, voire impossible. Pour s’en persuader, il suffit de regarder d’un côté le panier de crabes qu’est devenu le parti socialiste, et de l’autre le déchirement de ceux qui ont voulu apporter leur grain de sel à ce qu’ils croyaient être une œuvre commune, et se voient happés tout entiers par l’usine à gaz où ils ont imprudemment mis le doigt . (N’est- ce pas Fadela, Rama…)

Le paysage se résume à deux pays séparés par un large fleuve. Le pays des humanistes et le pays des politiciens. On n’y parle pas la même langue : Suivant le côté où on se place, ce fleuve s’appelle « renoncement » ou « démission ».