samedi 8 avril 2006


34° Vous avez dit "république"?

L'affolement du gouvernement me fait penser à celui du pilote d'un avion en train de s'écraser qui actionne n'importe comment toutes les manettes de son tableau de bord en espérant que la chance qu'il a eue jusqu'ici de devenir pilote et d'échapper à tout lui permettra de provoquer par hasard le déclic salvateur.

Mais quand on est rendu à ce point d'affolement, le chaos qui règne dans une boîte crânienne ne permet plus de s'exprimer au peu de raison qui pouvait s'y trouver avant la tempête. Il y a une solution, majuscule, évidente, pour sortir de la crise, mais pour des raisons dont il faut chercher le fondement quelque part entre la sottise, la fierté mal placée, le mépris de la démocratie, l’autoritarisme, et l'aveugle soumission au dogme de l'argent, on ne tirera pas le manche pour redresser l'avion.

Quand on veut trop ménager la chèvre et le chou, la chèvre meurt de faim et le chou pourrit.

Alors on essaie de nous distraire un peu, de passer la pommade. On fait durer des négociations où il n'y a rien à négocier, qu’on nous a présenté comme la seule solution alors que tout le monde sait qu'elles ne mèneront nulle part, on montre à la télévision des délégations qui entrent et sortent des salons du Sénat pour faire croire que la situation progresse, alors que les entretiens qui s'y déroulent ne sont que le constat d'un blocage de plus en plus dur.

Pendant ce temps, les routes se bloquent, comme les accès aux aéroports, aux marchés et zones de transit. Les universités, lycées, gares et centres de tri postaux sont occupés, et chaque nouvelle journée sans progrès ne fait que renforcer l'imagination et la détermination des manifestants.

Nous sommes sur une autre planète : la télévision nous montre un chauffeur routier ulcéré de ne pouvoir décharger son camion, accusant les manifestants d’empêcher les braves gens de travailler, et oubliant sans doute la promptitude et l’efficacité avec laquelle sa corporation peut bloquer un pays tout entier pour défendre son casse-croûte. Il faudrait embaucher quelques routiers avec un CPE pour les aider à réfléchir.

Il fut un bon vieux temps de la république où face à un échec de cette dimension, et même moindre, on démissionnait. Mais lorsque M. de Villepin dit qu'il va prendre « toutes ses responsabilités et tirer les conclusions qui s'imposent », il s'empresse d'ajouter qu'il n'a pas l'intention de démissionner, au cas où quelques républicains un peu intégristes auraient pris à la lettre ce qui aurait pu être un retour aux sources de la démocratie.

Pendant le bras de fer, le gâchis continue.

Je suis passé hier devant la Sorbonne. On y joue Fort-Alamo. Ou plutôt Fort Knox. Tout le quartier est entouré de hautes barrières métalliques dressées et gardées par la police, qui emprisonnent en même temps un nombre considérable de riverains qui sont obligés de montrer patte blanche chaque fois qu'il descendent acheter le pain, mais aussi un certain nombre de commerces, des librairies, quelques cafés, un coiffeur, des marchands de vêtements, et plusieurs cinémas qui sont devenus inaccessibles à leur clientèle et que chaque jour de blocus menace un peu plus de faillite.

En attendant, si la Sorbonne n'est plus « occupée », elle reste néanmoins fermée… Et si d'aventure les forces assiégeantes se décidaient à entrouvrir leurs barrages, il va de soi que les 500 premiers étudiants qui pénétreraient dans le saint lieu s'empresseraient d’y rétablir l'occupation, et qu'elle ne rouvrirait donc pas pour autant !

Mais cette interprétation moderne des farces du roi Ubu ne perturbe pas le sérieux de nos édiles et de nos ministres qui continuent à pontifier comme si rien ne s'était passé.

Le roi est nu ! Vive le roi !

Les tenants bien butés de la droite la plus bête du monde apostrophent leur opposition avec leur morgue et leur arrogance coutumière :

« Hein ! Les gauchistes ! Vous êtes toujours contre tout, mais vous n'avez rien à proposer, à la place du contrat première embauche ! »

(Vous avez remarqué que pour certains vieux baroudeurs de la politique de bistrot, en France, on ne peut pas être de droite ou de gauche, mais seulement de droite ou gauchiste…)

Mais bien sûr, que nous n'avons rien à proposer ! Exclure les moins de 26 ans du droit du travail ne me semble pas un progrès par rapport à la situation actuelle ! Il vaut mieux ne rien faire que de détruire la maison ! Il est préférable de s’attaquer au bull-dozer qui s’apprête à la démolir !

En fait, bien sûr, « les gauchistes » ont quelque chose à proposer. Mais corollairement au petit prince de Saint-Exupéry qui « ne voit bien qu'avec le coeur », les tenants du CPE voient mal avec les yeux de l'argent…

Entre l'ultralibéralisme et le marxisme, il y a tout de même un large boulevard de solutions qui mériteraient bien davantage une expérimentation que la politique de la terre brûlée que l'on veut appliquer au droit du travail !

Mais si on veut explorer ces solutions, pour recevoir, il faut donner un peu, et cela, les forces de l'argent et ses actionnaires ne veulent pas s'y résoudre.

S'il faut un salaire français pour acheter la production des Chinois, lorsqu'on aura réduit le pouvoir d'achat des Français à celui des Chinois, qui achètera la production chinoise ?

Nos dirigeants financiers se sont mis là dans une situation ubuesque, abracadabrantesque. Il n'y a pas de solutions à leur problème, sinon une fuite en avant qui atteindra rapidement ses limites.

Car maintenant que « les machines et les chinois font le travail », si on ne donne pas aux chômeurs l’économie sur les salaires qui en a résulté, qui achètera la production des machines ?

En définissant notre problème comme « un problème de chômage », on s'emprisonne dans un système de valeurs judéo-chrétiennes au nom duquel les nobles acquéraient l'honneur par la naissance, alors que les prolétaires ne pouvaient devenir honorables que par leur travail.

La mécanisation et la sous-traitance ont anéanti ce préalable : les chômeurs sont des gens de bonne foi, et leur honneur ne saurait être mis en cause.

Les travailleurs ne sont plus nécessaires à la bonne marche de l'économie, puisqu'on a trouvé le moyen de les remplacer.

Ce sont les consommateurs qui restent nécessaires ! Pas moyen de les remplacer, eux… Sans débouchés commerciaux, point d'économie, fiasco de la production, naufrage du système !

Si on veut revenir à l'axiome de départ, il faut remplacer « travailleurs » par « consommateurs », puisque c'est ce dernier rôle de consommateur qui est devenu indispensable à la marche de l'économie. La consommation ne saurait être l’apanage de nos princes, ils ne sont pas assez nombreux ! Il faut que tout le monde y participe…

L’économie, telle qu'elle est gérée actuellement, est un monstre de Frankenstein, puisqu'elle ne peut survivre qu'en expansion…Comme le cancer… . Là aussi, il faudra bien trouver quelques améliorations au système pour abolir le caractère inexorable de l'éternelle expansion et de la fuite en avant…

Se tirer dans le pied pour se conformer à un système sans avenir crédible est une gageure de technocrate pour qui la finalité de l’existence n’est pas la construction du monde de demain, mais la balance comptable de son entreprise au 31 décembre prochain…

Alors au lieu de s’acharner sur des objectifs si peu humanistes, Messieurs nos dirigeants feraient mieux de se poser des problèmes à plus long terme. Non seulement ça mettrait fin à la crise, mais ça permettrait d'envisager une société capable de vivre durablement dans l'harmonie. À bon entendeur…

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