Le mouvement « Nuit
Debout » suscite des réactions tout à fait passionnantes. Et
ce n'est qu'un début.
A moins d’être de
mauvaise foi, comme l'est bien volontiers la presse de province qui y
voit des éruptions du genre « le crépuscule des bobos »,
force est de constater que ce mouvement répond à une préoccupation
majeure des Français dont on a tort de ne pas tirer les
conséquences : près de 80 % des Français ne veulent plus
ni de François Hollande, ni de Nicolas Sarkozy, ni de Marine LePen.
C'est dire que
l'enjeu est de taille : l'échiquier politique s'agrandit d'un
terrain à bâtir d'urgence, et ça ne plaît pas à ceux qui ont une
belle maison de l'autre côté de la rue.
Surtout lorsqu'ils
constatent que pareilles réunions spontanées ont généré Syriza
en Grèce et Podemos en Espagne, et que cela nuit considérablement à
« leur » establishment..…
On imagine
l'inquiétude que suscite pareille créativité dans un pays où
la politique, au lieu d'être un mandat d'intérêt public, est
devenue une carrière, quand ce n'est pas un fond de commerce qu'on
se transmet de père en fils. (ou en fille...) Quand le chômage les menace, nos
hommes politiques n'ont pas les mêmes réactions que quand il s'abat
sur le bon peuple.
Il y a ceux qui se
croient des « cerveaux nécessaires » à la conduite du
pays et ne voient pas d'un bon œil que les braves gens prétendent
réfléchir tous seuls.
Valls ne sait pas
trop comment gérer la patate chaude et empêcher la tache d'huile de
s'étendre. Il voudrait acheter « les jeunes » avec
quelques petits cadeaux, tentant ainsi de les traiter à part pour
les dissocier du reste de la population.
Dure leçon :
Les jeunes lui rappellent durement qu'ils font partie de la
population, qu'ils constituent même celle de demain, qu'ils ne sont
pas à vendre, qu'ils prennent les aumônes qui leur sont faites
comme des choses dues depuis longtemps, mais que ce n'est pas
cela qui va les faire renoncer à l'éradication de la loi Khomri et
les dissuader d'aller refaire le monde place de la République.
Et sans avoir besoin
de tendre l'autre joue, Valls se la fait claquer par Gattaz qui
répète qu'il en a marre de payer des taxes et que si le
gouvernement a encore des cadeaux à faire, c'est à sa clique
patronale qu'il doit les prodiguer.
Fillon, sans doute ulcéré de voir des gens bâtir un programme nouveau alors que lui
n'en a pas d'autre que de prôner inlassablement le conservatisme et
les vertus de la marche arrière, déclare au journal Le Monde que
toute ces rassemblements le choquent, surtout en plein état
d'urgence.
Ce qui le contrarie,
en réalité, c'est surtout que « Nuit Debout » ait des
idées neuves alors que lui ne fait que photocopier un évangile
bourgeois désespérément obsolète….
Si vous pensiez que
Bruno Le Maire est moins conservateur que François Fillon, vous
voilà détrompé : aussi soucieux que son concurrent aux
primaires de ne pas voir les gens penser tous seuls, il se déclare,
sur France Inter, opposé à une « dictature de la minorité ».
Il oublie trop vite que la minorité, c'est lui : 80 % des Français ne veut
plus entendre parler de son parti ! Ah, la communication…
Nathalie Kosciusco
Morizet est plus hypocrite, qui comprenant qu'elle ne peut ni
étouffer ni approuver Nuit Debout, déclare qu'il faut écouter la
place de la République, et éventuellement faire avec.
Coutumière de la politique de l'anguille, elle s'était déjà abstenue lors du vote
sur le mariage pour tous à l'Assemblée. Elle continue à jouer
l'insaisissable, pensant sans doute pouvoir tirer des marrons du feu
lorsque les autres les auront cuisinés.
Le monde politique
compte de plus en plus de ces édiles opportunistes à convictions
variables, qui attendent que les trains se mettent à rouler pour
monter à coup sûr dans celui qui va dans le sens de l'histoire.
Macron, lui, tente
d'allumer un contre-feu avec son « En marche » qui se
voudrait une version «organisée» de la spontanéité populaire de
la place de la République. C'est sans nul doute le moins malhabile
de tous, mais cela reste caricatural.
La force de Nuit Debout est justement de ne pas être un parti, et de se trouver de manière si naturelle au-dessus des partis qu'elle acquiert par là même une crédibilité nouvelle. Macron l'a bien compris qui se répand en slogans d'avertissement : « ni de gauche ni de droite» et « nous ne sommes pas un parti ».
C'est dire qu'il
a déjà compris que faute de le rabâcher, -et même en le rabâchant
d'ailleurs -, il n'arrivera pas à hisser son machin assez haut
au-dessus de la mêlée pour être regardé comme un vrai sursaut
populaire.
La ville de Paris ne
sait trop sur quel pied danser. Son adjointe à la sécurité,
Colombe Brossel voulait porter plainte pour dégradations parce que
deux dalles de la place avaient été descellées pour faire place à
un potager. Anne Hidalgo a calmé le jeu en affirmant qu'on n'allait
pas faire tant de salades pour un potager. Elle aussi, attend pour
être sûre de se trouver du côté du manche.
On notera au passage
la perfidie du Figaro, qui tente de jeter de l'huile sur le feu en
titrant « la ville de Paris veut porter plainte » alorsqu'il faut lire son article quasiment jusqu'en bas pour découvrir
que, si elle y a pensé, elle n'en a en réalité nullement
l'intention…
Journalisme, vous
avez dit « journalisme » ?
En attendant, les
forces de l'ordre effacent presque tous les matins les traces de la
nuit, ce qui ne fait que réaffirmer la volonté des manifestants à
se réinstaller chaque soir. Oui, le pouvoir a bien compris qu’il y
a là le ferment d'une insurrection, mais les moins cons d'entre eux
ont également compris qu'un geste trop brusque pourrait justement
mettre le feu aux poudres à un moment on on espère encore voir les
choses s'autogérer, voire rester récupérables.
Et les LGBT ?
Je vois aussi des
chroniques comme celles-ci sur Yagg, qui se plaignent de ce que les LGBT ne soient pas assez présents place de la République. Mais
quand on lit l'article, on comprend vite l'aigreur qui ronge son
auteur. Que les LGBT soient présents à Nuit Debout, c'est bien
évidemment nécessaire, -et sans doute y sont-ils déjà-, mais ils
ne doivent s'y trouver qu'en tant que citoyens soucieux de bâtir une
société plus juste.
S'ils veulent y
installer une estrade pour faire avancer nos droits spécifiques, ils
se trompent d'endroit..
Les LGBT trouveront
une place naturelle dans une société avancée et humaniste comme
celle que les acteurs de Nuit Debout tentent de concevoir. Il est
donc de leur intérêt d'y participer non pas comme activistes
spécialisés mais en tant que citoyens fondateurs.
La Nuit Debout est
et doit rester un centre de l'union, une convergence des luttes, une
athanor où fusionne le pur métal d'un monde nouveau, équitable et
humaniste. Elle ne peut remplir ce rôle que si aucun bateleur ne
vient la prendre pour un champ de foire où il pourrait dresser ses
tréteaux.
Et elle se méfie à
juste titre des tentatives de récupération.
La force de Nuit
Debout réside justement dans sa spontanéité, dans son caractère
immanent et sa liberté absolue de création.
Dernière minute:
La Police jette la soupe de Nuit Debout au caniveau!
Aux dernières
nouvelles, la police a dévasté la cantine de Nuit Debout ce mardi
12 avril au matin, pensant ainsi dissuader les citoyens de
s'installer durablement…
C'est à ce genre de
maladresse que l'on vérifie que la société a plus que jamais
besoin d'une refondation !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire