vendredi 4 septembre 2015

513° Humanisme, politique et communication.





On entend souvent dire que nos dirigeants ne vivent pas dans la même sphère que nous et n'ont pas idée des petits tracas quotidiens du citoyen lambda, du genre fin de mois dans le rouge, métro bondé, voiture en panne, machine à laver pétée et autres désagréments qui leur semblent zéphyr, mais qui nous sont aquilon.

Mais le système nous permet-il, à nous, qui n'avons de supérieur que notre grand nombre, de vivre vraiment dans la sphère des réalités ? Nous en revenons à l'information.

Ainsi, par exemple, madame Merkel démontre soudain une humanité et une philanthropie inattendues en accueillant plus de réfugiés que les autres pays européens et en incitant ses voisins à en faire autant. Toute la presse explique avec application que l'Allemagne vit avec douleur le poids de sa sauvagerie passée et espère, par cette ouverture, sinon réparer cette tache de son histoire, du moins construire une image nouvelle d'une Allemagne actuelle dont les ressortissants n'étaient pas nés à l'époque nazie.

Il y a sans doute du vrai dans cette explication, et nul ne peut rester insensible à la manière dont certains jeunes Allemands expriment cette position. Mais ce soudain remords est-il la seule raison qui ouvre l'Allemagne à l'accueil des réfugiés ?

Quel journal nous a expliqué que l'Allemagne est un pays vieillissant, où la relève des départs en retraite n'est pas assurée, et qui a un besoin urgent de techniciens et de bras pour faire tourner son industrie, de main d’œuvre pour son agriculture et de cotisants pour payer ses retraites ? Et que, dans ces circonstances, un afflux de réfugiés, dont bon nombre sont diplômés, est une manne qu'il ne faut pas laisser passer….


© Reuters

Vous me direz, l'Allemagne n'est pas le seul pays européen dans cette situation, son seul mérite en la matière est d'en être conscient, de le regarder avec lucidité et de le gérer avec le pragmatisme qui a toujours été la marque du fonctionnement germanique

Bon, on ne va pas gâcher le plaisir et souiller le tableau jusqu'à l'insupportable, mais reconnaissons qu'on n'avait pas constaté tant d'humanité et de générosité dans les positions allemandes lorsqu'il s'était agi de gérer la dette grecque, et que là, madame la Chancelière s'était montrée impitoyable devant la misère quotidienne qui avait atteint ces pauvres Athéniens, mais qui ne rapportait rien à ses concitoyens...

Ainsi encore, jusqu'à hier, on regardait couler les bateaux de migrants avec commisération et on en recueillait ce qu'on pouvait pour les entasser dans des camps, on a du ramasser des centaines de cadavres sur les plages, et l'Europe assistait à ce spectacle consternant en se disant que c'était vraiment pas de chance, mais qu'il n'était quand même pas raisonnable pour ces gens de s'entasser à ce point sur des rafiots qui n'étaient pas certifiés par les commissions de sécurité.

Et puis voilà la photo de cet enfant sur la plage de Bodrum, une plage très fréquentée par les vacanciers allemands, justement. Certes, l'image est épouvantable, mais est-elle plus épouvantable que les milliers d'autres qu'on a pu faire jusqu'ici et qui sont restées sur les tables des rédactions sans jamais accéder à la une des journaux ?


 ©Dogan News Agency/AFP

Du coup, on s'agite un peu plus. Le vocable de « réfugié », jusqu'ici exclusivité des humanitaires, fait son apparition dans le langage des médias, et on se dit qu'on va en parler encore plus sérieusement qu'avant. Ce qui n'empêche pas certains pays de rester de marbre devant l'obligation caritative qui s'impose à tous.

On notera que ces pays du « pas de ça chez nous », Hongrie, Pologne, Slovaquie, etc.. sont parmi les plus catholiques du coin. De ceux qui portent au pinacle un illuminé qui a dit « Aime ton prochain comme toi-même »… On aurait aimé que les analyses journalistiques mettent le doigt sur ce détail de l'histoire, mais… zut, encore raté.


© AFP


Dans la série : « on va accueillir les réfugiés, mais ils seront quand même mieux chez le voisin », on se propose maintenant de faire des quotas. Manière de transformer le jeu de « celui en en fera le plus » en jeu de « celui qui en fera la moins ». Mais comment vont vivre les migrants qui, à cette grotesque loterie, tireront le lot Hongrie ou Slovaquie ? Quelle sera leur place dans des pays qui ne veulent pas d'eux ? Moi qui ai entendu ce qu'on pense des Roms en Tchéquie et en Slovaquie et vu de mes yeux la manière dont on les traite, (c'était il y a dix ans, mais change-t-on un peuple en dix ans ? ), je prédis à ces victimes d'un mauvais tirage au sort un avenir très obscur. Les Roms sont pourtant chrétiens, et malgré cela… Alors vous imaginez des musulmans…

Je suis médisant ? Non, je pense que ce sont les médias qui sont « non-disant ».



Appliquons maintenant à notre petite politique hexagonale les conséquences des soudaines bontés de madame Merkel. Jusqu'à présent, les « Républicains » (oui, j'y mettrai toujours des guillemets ), les Sarkozistes (tiens, un Hongrois!!) et autres droitistes nous donnaient l'Allemagne en exemple sur tous les sujets et baisaient les mains fermes et énergiques de la Chancelière Angela.

Coup de billard en trois bandes : Comme à gauche, on se dit que les seules chances qu'on a de gagner les présidentielles de 2017, c'est de les disputer au deuxième tour face au front National, on multiplie les petites agaceries qui font monter ce parti au détriment de la droite conventionnelle. Le Front National est le rempart de la gauche contre la droite, et on entretient donc ce mur de la honte avec soin. Le truc a été inventé par Mitterrand, il a fait ses preuves.

Petites agaceries ? Blocage perpétuel des salaires de la fonction publique et des retraites, baisse théorique de l'impôt sur le revenu largement contrebalancée par la hausse des impôts locaux due au désengagement de l'état, -une aubaine pour les plus riches-, faiblesse à répétition devant tout ce qui bloque les routes, bonnets rouges, taxis, routiers, agriculteurs, etc.

La droite a bien compris cette manière de gérer, ce qui explique sans doute l'attirance quasi morbide de ses ténors vers l’extrême droite. Puisque la gauche a choisi la droite forte pour challenger, il faut être dans la droite forte ou ne pas être.




Mais v'la-t-y pas que Madame Merkel, ce modèle de fermeté économique et sociale, cette statue de l'implacable autorité sur les gens et les marchés ultra-libéraux, est soudain prise de faiblesse et de compassion devant la misère des réfugiés. (Que chez les « Républicains », on appelle toujours des migrants).

Immédiatement, la droite française lui retire sa caution : la Chancelière est aveuglée, victime de mauvais conseilleurs, elle vire sa cuti à gauche.

Angela Merkel était un modèle tant qu'il fallait persécuter les pauvres gens, s'opposer au smic puis en octroyer un à bon marché, écraser les prix, briser les Grecs, défendre la liberté des marchés en folie, gérer l'euro comme jadis l'Allemagne géra le deutschemark, au plus grand mépris de la réalité européenne.




Mais si elle donne soudain dans le caritatif, la philanthropie et l'humanisme, madame la chancelière n'est plus un modèle. Qu'on abatte sa statue, qu'on l'oublie, vive Victor Orban, le nouvel homme de fer dont les résultats économiques sont pourtant misérables. Mais c'est un vrai méchant, lui, un authentique croisé, le nouveau héros chrétien de nos « Républicains » égarés et hagards qui ne savent plus à quel saint se vouer.

On aimerait que la presse, les médias, se livrent à de telles analyses autrement que dans des émissions tardives et confidentielles et des articles discrets et touffus en bas de la page 12.

Mais nous vivons dans le choc des photos, le triomphe des slogans, l'arbitraire des croyances religieuses et l'improvisation commandée par les sondages.



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