On entend souvent
dire que nos dirigeants ne vivent pas dans la même sphère que nous
et n'ont pas idée des petits tracas quotidiens du citoyen lambda, du
genre fin de mois dans le rouge, métro bondé, voiture en panne,
machine à laver pétée et autres désagréments qui leur semblent
zéphyr, mais qui nous sont aquilon.
Mais le système
nous permet-il, à nous, qui n'avons de supérieur que notre grand
nombre, de vivre vraiment dans la sphère des réalités ? Nous
en revenons à l'information.
Ainsi, par exemple,
madame Merkel démontre soudain une humanité et une philanthropie
inattendues en accueillant plus de réfugiés que les autres pays
européens et en incitant ses voisins à en faire autant. Toute la
presse explique avec application que l'Allemagne vit avec douleur le
poids de sa sauvagerie passée et espère, par cette ouverture, sinon
réparer cette tache de son histoire, du moins construire une image
nouvelle d'une Allemagne actuelle dont les ressortissants n'étaient
pas nés à l'époque nazie.
Il y a sans doute du
vrai dans cette explication, et nul ne peut rester insensible à la
manière dont certains jeunes Allemands expriment cette position.
Mais ce soudain remords est-il la seule raison qui ouvre l'Allemagne
à l'accueil des réfugiés ?
Quel journal nous a
expliqué que l'Allemagne est un pays vieillissant, où la relève
des départs en retraite n'est pas assurée, et qui a un besoin
urgent de techniciens et de bras pour faire tourner son industrie, de
main d’œuvre pour son agriculture et de cotisants pour payer ses
retraites ? Et que, dans ces circonstances, un afflux de
réfugiés, dont bon nombre sont diplômés, est une manne qu'il ne
faut pas laisser passer….
© Reuters
Vous me direz,
l'Allemagne n'est pas le seul pays européen dans cette situation,
son seul mérite en la matière est d'en être conscient, de le
regarder avec lucidité et de le gérer avec le pragmatisme qui a
toujours été la marque du fonctionnement germanique
Bon, on ne va pas
gâcher le plaisir et souiller le tableau jusqu'à l'insupportable,
mais reconnaissons qu'on n'avait pas constaté tant d'humanité et de
générosité dans les positions allemandes lorsqu'il s'était agi de
gérer la dette grecque, et que là, madame la Chancelière s'était
montrée impitoyable devant la misère quotidienne qui avait atteint
ces pauvres Athéniens, mais qui ne rapportait rien à ses
concitoyens...
Ainsi encore,
jusqu'à hier, on regardait couler les bateaux de migrants avec
commisération et on en recueillait ce qu'on pouvait pour les
entasser dans des camps, on a du ramasser des centaines de cadavres
sur les plages, et l'Europe assistait à ce spectacle consternant en
se disant que c'était vraiment pas de chance, mais qu'il n'était
quand même pas raisonnable pour ces gens de s'entasser à ce point
sur des rafiots qui n'étaient pas certifiés par les commissions de
sécurité.
Et puis voilà la
photo de cet enfant sur la plage de Bodrum, une plage très
fréquentée par les vacanciers allemands, justement. Certes, l'image
est épouvantable, mais est-elle plus épouvantable que les milliers
d'autres qu'on a pu faire jusqu'ici et qui sont restées sur les
tables des rédactions sans jamais accéder à la une des journaux ?
©Dogan News Agency/AFP
Du coup, on s'agite
un peu plus. Le vocable de « réfugié », jusqu'ici
exclusivité des humanitaires, fait son apparition dans le langage
des médias, et on se dit qu'on va en parler encore plus sérieusement
qu'avant. Ce qui n'empêche pas certains pays de rester de marbre
devant l'obligation caritative qui s'impose à tous.
On notera que ces
pays du « pas de ça chez nous », Hongrie, Pologne,
Slovaquie, etc.. sont parmi les plus catholiques du coin. De ceux qui
portent au pinacle un illuminé qui a dit « Aime ton prochain
comme toi-même »… On aurait aimé que les analyses
journalistiques mettent le doigt sur ce détail de l'histoire, mais…
zut, encore raté.
Dans la série : « on va accueillir les réfugiés, mais ils seront quand même mieux
chez le voisin », on se propose maintenant de faire des quotas.
Manière de transformer le jeu de « celui en en fera le plus »
en jeu de « celui qui en fera la moins ». Mais comment
vont vivre les migrants qui, à cette grotesque loterie, tireront le
lot Hongrie ou Slovaquie ? Quelle sera leur place dans des pays
qui ne veulent pas d'eux ? Moi qui ai entendu ce qu'on pense des
Roms en Tchéquie et en Slovaquie et vu de mes yeux la manière dont
on les traite, (c'était il y a dix ans, mais change-t-on un peuple
en dix ans ? ), je prédis à ces victimes d'un mauvais tirage
au sort un avenir très obscur. Les Roms sont pourtant chrétiens, et
malgré cela… Alors vous imaginez des musulmans…
Je suis médisant ?
Non, je pense que ce sont les médias qui sont « non-disant ».
Appliquons
maintenant à notre petite politique hexagonale les conséquences des
soudaines bontés de madame Merkel. Jusqu'à présent, les
« Républicains » (oui, j'y mettrai toujours des
guillemets ), les Sarkozistes (tiens, un Hongrois!!) et autres
droitistes nous donnaient l'Allemagne en exemple sur tous les sujets
et baisaient les mains fermes et énergiques de la Chancelière
Angela.
Coup de billard en
trois bandes : Comme à gauche, on se dit que les seules
chances qu'on a de gagner les présidentielles de 2017, c'est de les
disputer au deuxième tour face au front National, on multiplie les
petites agaceries qui font monter ce parti au détriment de la droite
conventionnelle. Le Front National est le rempart de la gauche contre
la droite, et on entretient donc ce mur de la honte avec soin. Le
truc a été inventé par Mitterrand, il a fait ses preuves.
Petites agaceries ?
Blocage perpétuel des salaires de la fonction publique et des
retraites, baisse théorique de l'impôt sur le revenu largement
contrebalancée par la hausse des impôts locaux due au désengagement
de l'état, -une aubaine pour les plus riches-, faiblesse à
répétition devant tout ce qui bloque les routes, bonnets rouges,
taxis, routiers, agriculteurs, etc.
La droite a bien
compris cette manière de gérer, ce qui explique sans doute
l'attirance quasi morbide de ses ténors vers l’extrême droite.
Puisque la gauche a choisi la droite forte pour challenger, il faut
être dans la droite forte ou ne pas être.
Mais v'la-t-y pas
que Madame Merkel, ce modèle de fermeté économique et sociale,
cette statue de l'implacable autorité sur les gens et les marchés
ultra-libéraux, est soudain prise de faiblesse et de compassion
devant la misère des réfugiés. (Que chez les « Républicains »,
on appelle toujours des migrants).
Immédiatement, la droite française lui retire sa caution : la Chancelière est
aveuglée, victime de mauvais conseilleurs, elle vire sa cuti à
gauche.
Angela Merkel était
un modèle tant qu'il fallait persécuter les pauvres gens, s'opposer
au smic puis en octroyer un à bon marché, écraser les prix, briser
les Grecs, défendre la liberté des marchés en folie, gérer l'euro
comme jadis l'Allemagne géra le deutschemark, au plus grand mépris
de la réalité européenne.
Mais si elle donne soudain dans le caritatif, la philanthropie et l'humanisme, madame la chancelière n'est plus un modèle. Qu'on abatte sa statue, qu'on l'oublie, vive Victor Orban, le nouvel homme de fer dont les résultats économiques sont pourtant misérables. Mais c'est un vrai méchant, lui, un authentique croisé, le nouveau héros chrétien de nos « Républicains » égarés et hagards qui ne savent plus à quel saint se vouer.
On aimerait que la
presse, les médias, se livrent à de telles analyses autrement que
dans des émissions tardives et confidentielles et des articles
discrets et touffus en bas de la page 12.
Mais nous vivons
dans le choc des photos, le triomphe des slogans, l'arbitraire des
croyances religieuses et l'improvisation commandée par les sondages.
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