jeudi 8 février 2007


83° Les tribulations de l'homme-orchestre.


Quelles sont les limites du vieil adage : « nul n'est prophète en son pays » ? S'il semble aussi facile que logique de déclarer qu'il n'y a ni utilité ni mérite à prêcher des convaincus, la tâche qui consiste à aller exposer ses arguments en terre hostile relève parfois de la prétention de Don Quichotte. Ainsi par exemple, les Américains n'ont convaincu personne lorsqu'ils se sont mis en tête d'apporter la démocratie en Irak...

Le débat d'idées politiques n'a d'intérêt qu'entre adversaires de bonne foi. Une sorte de gens bien rares sur l'échiquier politique où ceux qui disent ce qu'ils font et qui font ce qu'ils disent se comptent sur les doigts de la main.

Il y a très très très longtemps, à une époque où mes quelques livres de jeunesse m’avaient donné une petite célébrité, la revue d'extrême droite « le Crapouillot" m'avait invité à participer à un numéro spécial sur le thème des « Pédérastes ». On disait comme ça, à l'époque. Pour conjurer mon peu d'inclination à prêter ma plume à un journal d'extrême droite, on m'avait fait miroiter que Roger Peyrefitte, Yves Navarre et Guy Hocquenghem, -- excusez du peu --, avaient d'ores et déjà donné leur accord. Vérification faite, le Crapouillot était allé un peu vite en besogne, et les autres n'avaient été contactés que de la même manière que moi. La bande des quatre s'est donc téléphoné pour accorder ses violons, ce qui m'a valu de faire la connaissance des trois autres que je n'avais jamais approchés que par leurs livres. C'est autour d'une table de la Closerie des Lilas que nous avons tenu conseil de guerre. Partant du principe d'effectivement, le Crapouillot avait le mérite de pénétrer jusque dans les chaumières où la bonne parole n'entrait jamais, nous avons décidé d'accepter. En ce qui me concerne, la commande était de 12 pages dactylographiées, que je me hâtai de fournir, et qui me furent payées rubis sur l'ongle au prix fort bien avant parution. Heureux journalistes de droite ! Cet article me rapporta à lui tout seul presque autant que mon premier livre !

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Lorsque parut la revue, il ne restait que trois pages des douze que j'avais préparées. Toutes les lignes militantes, toute l'expression des revendications d'égalité, de droit, de respect avait été évacuées. La concaténation des morceaux choisis qui avait été faite sans mon accord donnait à ma publication un esprit égrillard et pervers diamétralement opposé à celui du texte original.

Les trois autres avaient été un peu mieux traités que moi, sans doute parce que leur notoriété plus grande leur permettait des réactions plus dangereuses. Mais il est vrai aussi que leur texte était plus consensuel que le mien, aussi la censure avait-elle été moins drastique à leur encontre.

Je jurai un peu tard qu'on ne m'y prendrait plus. Discuter avec quelqu'un qui vous fait des ronds de jambes, puis qui vous tire dans le dos dans l'instant suivant ne sert qu'à se faire récupérer par une cause qui n’est pas la vôtre.

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Sarkozy et les gays, c'est exactement le même cas de figure. Il y a une contradiction permanente entre le programme du candidat, ce qu'il dit et ce qu'il fait. Ce Frégoli de la politique vit en grand écart permanent. C'est d'ailleurs sans doute là sa performance la plus notable, d'arriver à faire un aussi grand écart avec de si petites jambes.

Pendant qu'il répond à la télévision aux gays qui l'interrogent (dans une émission dont l'organisation et la production sont actuellement examinées par la justice) qu'il est sensible aux droits des homosexuels et à leur libertés, il prend position contre le mariage et l'adoption, choisit comme proche conseillère Christine Boutin qui est une émanation du Vatican (voir mon article numéro 67), déclare « retirer son investiture » à Christian Vanneste qui n'en a plus besoin attendu qu'il est maintenant affilié au CNI qui est une succursale de l'UMP, mais oublie dans le même discours de préciser qu’il s'abstient de présenter un candidat officiel contre lui, ce qui garantit à Vanneste une réélection tranquille dans une circonscription dont il est l'homme fort.

Toujours pas un mot du manifeste homophobe signé par plus de 300 députés de son parti à l'instigation de Jean-Marc Nesmes... On attend d'un jour à l'autre la publication par Act Up. et/ou par les Panthères Roses, de la liste des dits députés et de quelques autres agrémentée s'il y a lieu de leurs faits d'armes respectifs en matière de liberté sexuelle et de droit des gays en général.

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Le candidat Sarkozy essaye de se réconcilier avec une banlieue que le ministre Sarkozy a injuriée pendant des années, en traitant ses habitants de racailles et de voyous, et de raccrocher au train de la république des wagons que le gouvernement Raffarin, dont il était le maître à penser, a décrochés en route en supprimant brutalement en 2002 toutes les subventions aux associations locales qui assuraient tant bien que mal l'homogénéité du tissu social dont il déplore maintenant la rupture.

Le candidat Sarkozy soutient Charlie-hebdo pendant que le ministre Sarkozy rassure le recteur de la mosquée de Paris. Moi aussi, évidemment, je soutiens Charlie hebdo, mais de mes deux mains. Ce ne sont pas des assurances que je tiens à la disposition du recteur de la mosquée de Paris, mais une leçon de laïcité et de république s'il lui plaît de venir l'entendre.

Je fais de temps à autre une visite pleine de commisération au site de Gay Lib, que je vois de jour en jour remettre dans sa poche tous les beaux projets de liberté qu'elle nous promettait pour les gays, au fur et à mesure que leur leader politique préféré les dégomme un par un comme au tir à pipes. Cette malheureuse association qui a commencé pleine de promesses libertaires finira en club de masos...

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Il faut que ce monsieur Sarkozy arrête de parler deux langages et se décide à contrôler sa main gauche et sa main droite avec le même cerveau. L'interview de Xavier Bertrand dans la tribune du lundi 29 janvier nous donne le fond du programme de M. Sarkozy, avec tous les détails de ce qu'il ne dit pas dans ses meetings et à la télévision. Contestation du droit de grève, fin de l'égalité devant les soins avec l'instauration d'une franchise qui exclura un nombre de Français encore plus grand des soins les plus élémentaires, augmentation des impôts indirects au détriment des impôts directs, ce qui revient à un accroissement de l'inégalité devant l'impôt par une diminution de sa proportionnalité, atlantisme à toute vapeur, avec étroite association à la politique des croisades bushiennes contre les infidèles, retrait de l'État de la prise en charge des plus démunis au profit des associations caritatives comme aux USA, ce qui transforme les populations concernées en proies désignées pour les communautés pas toujours très catholiques (ou parfois trop catholiques...) qui auront à les prendre en charge... Je ne peux pas en faire 20 pages, même si la matière existe....

N'oublions tout de même pas que le ministre candidat Sarkozy, à l'époque où ils ne faisaient qu'une seule et même personne, ont reçu les scientologues les plus en vue quasiment comme des chefs d'État...

Or si les promesses du candidat Sarkozy aux militants émerveillés ne sont que des promesses, les orientations qu'il promet aux puissances de l'argent sont bien expliqués dans cet article de la Tribune. Le bon peuple écoute les discours des meetings et de la télévision, et il sera déçu, le monde de l'argent lit la Tribune, où il n'y a plus aucune ambiguïté : Ceux qui votent avec leur compte en banque savent très bien pour qui et pour quoi ils vont voter.

Je dînais l'autre soir avec un trotskiste un peu nostalgique, personnage haut en couleurs dans les réflexions de qui on trouve quelques perles. Et par-dessus le confit de canard, il m'a dit : « tout était dans "Mein Kampf", mais personne ne l'a lu à temps »... Sans doute y a-t-il une distance à prendre avec un raccourci si brutal, mais on reste un peu songeur, non?

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