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Je n'ai pas l'habitude de parler de moi dans ce blog, mais l'ouverture aujourd'hui du 62° Festival de Cannes évoque en moi d'émouvants souvenirs.
Car il y a quarante ans, en 1969, votre serviteur eut l'honneur d'y faire des projections... Entré au dernier moment comme remplaçant, j'y travaillai au-delà du raisonnable, une fâcheuse épidémie de grippe (eh oui, déjà!) à laquelle j'échappai ayant décimé l'équipe, pourtant nombreuse, des opérateurs.
Il m'en reste quelques photos, des vieilles diapositives que j'ai numérisées sans numérisateur, on admirera la performance, en photographiant leur projection sur un petit écran!
L'ancien palais du Festival, construit en 1949 et détruit en 1983, offrait une salle de 1700 places avec balcon, dotée d'un écran de 16 mètres, exceptionnel pour l'époque, mais la projection était affligée d'une plongée de près de 25° qui nuisait considérablement à la construction d'une image de grande dimension. Pour conjurer le problème, on avait incliné l'écran face à la cabine de 15°, avec l'inconvénient qu'il se couvrait de poussière assez rapidement et qu'il fallait le changer presque tous les ans...
De plus, cette inclinaison était très visible des places latérales de l'orchestre. Pour les galas, l'attribution des sièges était donc un problème aussi épineux qu'un plan de table avec un archevêque et une archiduchesse, puisqu'il fallait « trier » les invités en fonction de leurs compétences techniques pour n'attribuer ces mauvaises places qu'à des spectateurs incapables de déceler la supercherie.
La salle en 1969, photographiée par les trous de projection.
Située au cinquième étage, desservie par un ascenseur, l'étouffante cabine de projection, mal ventilée et non climatisée, hébergeait quatre projecteurs Philips DP70, (Hollandais). La Rolls du cinéma. Les deux du milieu équipés de lanternes à arc californiennes Mole Richardson à positif tournant, (quelle merveille!) et les deux machines latérales de lanternes à arc italiennes Cinemeccanica Superzenith. Les connaisseurs verront très bien tout cela sur les photos.
Au fond, hors de la photo, des lecteurs double bande, dotés d'une synchronisation électronique "Interlock" avec des moteurs à glissement, -les premiers que je voyais- permettaient, à la première séance, d'enregistrer des traductions dans les langues choisies par le jury, et de les relire pour les projections suivantes.
A droite, également invisible sur la photo, un tableau de commutation pour les changements de machine, appelé « Véronique », avait la réputation de conduire à des situations d'impasse produisant des coupures de son s'il n'était pas manié par son maître. Je n'y ai jamais touché. A côté, une minuscule pièce dévolue à la régie son était littéralement remplie par un bedonnant mais sympathique ingénieur que l'on apercevait parfois entre deux volutes de fumée de ses Gitanes.
Votre serviteur, il y a quarante ans... (Sous son meilleur profil?)
Lorsqu'on sait qu'il y a dans la salle le gratin du cinéma planétaire, on a le trac.
Je n'en étais pas exempt. J'ai vu des opérateurs renoncer à la grande salle...
Il est vrai que chaque fois que l'on appuie sur un bouton, on joue sa place...
Sauf le chef, qui un jour, a envoyé une bobine à l'envers... Et qui est resté chef.
A l'époque aucune projection n'était automatique alors qu'elles le sont toutes maintenant, y compris les plus puissantes. Notamment parce qu'aucune lanterne à arc ne donnait plus d'une heure de lumière sans qu'il faille remplacer les charbons. En l'occurrence, les Mole Richardson de Cannes n'en délivraient pas plus de trente minutes...
C'est donc bobine par bobine qu'on faisait les projections, avec changement de machine toutes les 18 minutes. C'est dire qu'il y avait intérêt à avoir les yeux en face des trous et qu'il ne s'agissait pas de fumer la moquette avant d'aller faire une séance. Par précaution, nous étions deux opérateurs, chacun passant toujours les mêmes bobines sur le même appareil. La chasse aux rayures était ouverte!
A ma connaissance, la projection du Festival de Cannes, malgré les progrès de la technologie, se fait encore aujourd'hui en mode manuel et bobine par bobine.
Attendant la changement de machine, la main sur le départ moteur.
Il fait près de 40° autour des machines et on voit mes cheveux collés sur mes tempes.
Comme j'étais de loin le gamin de l'équipe, j'avais 22 ans et les mandarins de la salle obscure me regardaient de haut, on ne me confiait que les films jugés secondaires. En regardant attentivement cette photo prise dans la salle de montage, pompeusement baptisée le bunker, vous constaterez que la pellicule ne touche pas mes doigts: elle vole! Déjà doué, le petit! Le film entre mes mains le jour de la photo était, autant que je me souvienne, un film de Pierre Etaix.
Ce fut l'année où « IF » de Lindsay Anderson, obtint la Palme d'Or lors d'une cérémonie de clôture présentée par Jacques Martin. « Z » de Costa Gavras n'y obtint qu'un prix d'interprétation masculine décerné à Jean Louis Trintignant. .. A part le Pierre Etaix et le soporifique « Ma nuit chez Maud » de Rohmer, on me confia aussi "Easy Rider", de Dennis Hopper, qui fit mauvaise impression et obtint sous les sifflets un prix de la première œuvre avant de devenir le culte que l'on sait. .L'histoire nous dit aujourd'hui que « If » est un film oublié et que « Z » et Easy Rider » sont restés dans l'histoire. Le jury était pourtant présidé par Lucchino Visconti in person.
Le détail du défilement du DP70
En 1982, ce palais des festival, dit « Palais de la Croisette » fut abandonné au profit du nouveau palais que nous connaissons, appelé le bunker par les Cannois. Malgré les critiques, la grande salle de ce nouveau -et actuel- palais est, à mon avis, le modèle de la salle idéale, architecturalement parfaite, conçue autour du spectateur et de la projection. On parle néanmoins déjà de démolir ce second palais pour le remplacer par je ne sais quoi qui aura bien du mal, je pense, à être aussi fonctionnel.
Les lanternes à arc ont été remplacées à la fin des années 70 par des lanternes au xénon Kinoton, ce qui n'alla pas sans quelques explosions très spectaculaires, dont une célèbre en plein gala d'ouverture. (Je n'y étais plus depuis longtemps, mais elle résonne encore dans la profession). Lorsqu'on changea de palais, les quatre projecteurs DP70 furent déménagés et installés dans le nouveau palais avec leurs lanternes explosives.
A la suite de débats dont j'ignore la teneur, ils ont été remplacés depuis par des DP75, un modèle supposé supplanter le précédent mais qui, à mon humble avis, ne lui arrive pas à la cheville. Et j'en parle en connaissance de cause, puisque la suite de ma carrière m'a conduit à maintenir pendant plus de vingt ans un complexe cinématographique parisien entièrement équipé de cette regrettable machine...
“Picture by Thomas Hauerslev, in70mm.com”
Voici, trouvée sur internet, une photo de l'actuelle cabine de projection de Cannes. On constate que, dans cette « salle idéale », la projection est quasiment horizontale. (plongée 2°) . Au fond, trois DP75 ont survécu avec leur lanterne pétaradantes, au milieu une machine très haute dont j'ignore la nature, et au premier plan, deux projecteurs numériques.
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1 commentaire:
Bonjour Jacques, c'est magnifique cette chronique de Cannes qui n'en est pas une. Ce qui m'a amenée ici c'est le nom "Etaix"... (via une recherche sur paperblog !) puisque ces dernières semaines j'ai suivi au plus près que je pouvais le développement de l'affaire des films Etaix/Carrière.
Je reviendrai pour d'autres visites ;)
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