vendredi 7 septembre 2007

118° Sicko Sicko par ci, Sarko Sarko par là...

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Il y a ceux qui ont lu le petit Larousse et qui savent que « critique » signifie « art de juger une œuvre », et ceux qui croient que le sens secondaire « blâmer, montrer les défauts » a pris le pas sur le sens premier, sans doute à l’instar de leur âme aigrie où la face obscure de la force tend à triompher sur le côté de la lumière.

Il y a aussi ceux qui écrivent dans des journaux qui confondent information et propagande, et qui croient devoir asservir tout ce qui passe devant eux à la cause dont ils sont les fantassins. (laquais, on a déjà dit, non ? Ça reste vrai pourtant).

Et il y a ceux enfin qui, dans les journaux comme dans la vie, croient que c’est en abaissant les autres qu’ils vont se retrouver au-dessus du lot.

« Quand on ne peut pas briller de sa propre lumière, on essaie d’éteindre celle des autres ». (La Rochefoucauld)

C’est sans doute au nom de ce principe que tout un pan de la presse voit de l’exagération dans « Sicko », le dernier pamphlet de Michael Moore.

C’est ignorer avec hypocrisie qu’il s’agit justement d’un pamphlet, tout comme ses films précédents, et c’est aussi éluder le fait qu’eux-mêmes, lorsqu’ils traitent la gauche de « socialo-communiste » et les chômeurs « d’assistés » ne font plus dans le pamphlet mais dans l’outrance, et sont à cet égard bien plus suspects d’exagération, voire d’injure que notre Robin des Bois de la pellicule.

Le trait est un peu forcé, certes. On ne fait pas un pamphlet à l’aquarelle. Mais enfin, il n’a inventé aucun personnage de son film, Michael Moore, toutes les situations qu’il décrit, tous les gens qu’il montre sont bien réels, même s’il les a évidemment un peu choisis.

Bien sûr, sa vision du système de santé français paraît quelque peu idyllique, mais nos critiques franchouillards qui trouvent normal de se faire soigner gratos leurs moindres bobos, leurs petites douleurs articulaires et même leurs états d’âme ne peuvent-ils comprendre l’émerveillement d’un citoyen d’un pays supposé riche devant ce système que nous estimons perfectible alors que chez lui, on meurt quotidiennement de ne pas le posséder ?

Si exagération il y a, sa source n’est-elle pas dans le cynisme avec lequel le système américain refuse pour des motifs futiles et souvent inventés à postériori, des soins pour lesquels il a engrangé des cotisations substantielles ? N’est-elle pas dans l’arnaque qui consiste pour les laboratoires américains, à vendre des produits avec des bénéfices de 1000% ?

Pour un spectateur français, la projection de Sicko provoque d’abord une sorte d’euphorie teintée de gène, puis ensuite un lourd sentiment d’incompréhension, voire de culpabilité.

Euphorie d’abord : Quelle chance nous avons d’être français ! Combien de nous seraient déjà morts si les traitements auxquels ils doivent aujourd’hui d’être en vie avaient pu leur être refusés par des bureaucrates programmés comme des ordinateurs ? Moi, plusieurs fois. Et vous ?

Gène ensuite : Comment nos amis Américains peuvent-ils supporter ça ?

Incompréhension enfin : Comment tant de nos concitoyens persistent-ils à considérer l’Amérique comme un modèle, à vouloir y émigrer ou pire à prétendre nous en imposer les règles impitoyables ?

A la fin de son film, Michael Moore, observateur éclairé de son temps, avance une explication qui doit gêner bien davantage ses détracteurs que le fond « socio-médical » de sa démonstration :

En France, « pour un oui pour un non » comme disent les gros cons (tiens, ça rime !), on descend dans la rue.

Alors que je trouve, moi, que les Français se laissent faire et baratiner comme des veaux (c’est de Gaulle qui, le premier, les a qualifié de veaux), les Américains, eux, s’émerveillent de leur réactivité, de leur si chatouilleuse susceptibilité qui les fait arrêter tout, remplir les rues et brandir des pancartes dès qu’on touche à leurs droits fondamentaux. La grève fait partie des symboles français dans la perception américaine au même titre que la tour Eiffel, la baguette de pain, les frites et la valse musette.

Aux USA, il n’y a guère que les guerres du Vietnam et d’Irak qui font descendre les gens dans la rue, et encore les chaines de télévision s’escriment-elles à n’en montrer que la frange colorée et hippie un peu comme on ne montre de la Gay Pride que les folles et les travestis, c'est-à-dire à en faire un portrait aussi marginal que possible, à en donner une image qui ne reflète pas la réalité profonde de la masse des citoyens.

Il n’est que de voir la traditionnelle comparaison des chiffres des manifestants « selon la police » et « selon les organisateurs » pour réaliser l’embarras que nos manifestations provoquent auprès d’un pouvoir qui plus souvent à tort qu’à raison, veut s’attaquer « pour notre plus grand bien » à nos droits et prérogatives et voit si souvent ses projets maléfiques contrariés par une belle manif bien de chez nous.

La grève, n’en parlons pas. La précarité des emplois et le niveau des salaires américains constituent un rempart infranchissable contre ce « fléau économique ». Scène du film : A une Américaine qui dit à Bush : « Vous rendez-vous compte que je suis obligée de cumuler trois emplois pour m’en sortir ? », il répond : « C’est merveilleux, il n’y a qu’en Amérique qu’on trouve des citoyens qui participent aussi activement à la richesse de leur pays ! ». Pour quelqu’un qui souffre d’une phobie éruptive du « socialo-communisme », la réinvention de Stakhanov est une trouvaille surréaliste. Il est vrai qu’il avait aussi dit un jour, entre autres, que le grand problème des Français était de méconnaitre le mot « entrepreneur ».

Michael Moore tend également son micro à un analyste britannique très sage dont j’ai oublié le nom mais admiré le discours, et qui dit que l’autorité, l’exploitation, le racket s’appliquent facilement à un peuple opprimé, sous-informé, accablé de dettes, craintif du pouvoir en place et ignorant de son pouvoir réel, replié sur lui-même, nombriliste, galvanisé de valeurs d’autosatisfaction dont on le nourrit par indigestion médiatique, et tout entier préoccupé par sa survie quotidienne. On vous a reconnu, pauvres amis Américains. Il montre d’ailleurs les Français comme un peuple extraverti, expansif, jouisseur et sûr de lui. Et il a raison, et c’est sans doute ce que notre régime multitâches essaie de changer avec ses plans d’austérité qui ne disent pas leur nom et dont personne ne veut, les riches parce que ça leur trouble la digestion et les pauvres parce qu’ils le subissent dans leur chair.

D’ailleurs, les principaux domaines où nous nous démarquons du monde de l’oncle Sam, la sauvegarde des retraites publiques, de la santé publique, de l’enseignement public et des prestations sociales du chômage sont précisément ceux qui rassemblent le plus de manifestants.

Aussi ne nous étonnerons nous pas que le but sournois opiniâtrement poursuivi par notre nouveau régime, à part le démantèlement du code du travail, soit de « rendre illisible la limite gauche-droite ». (voir mon article n° 112).

C’est bien là qu’ils sont gênés aux entournures. Parce que dans le subconscient français, comme d’ailleurs dans la réalité de l’histoire et du dictionnaire, le clivage gauche-droite se résume bien à « au nom des gens, au nom du fric », et la seule réponse à cette définition consiste à banaliser dans le discours l’assimilation de la gauche aux « socialo-communisme » et à rappeler que le stalinisme avait tué 80 millions de personnes, ce qui est vraisemblable, mais reste très inférieur au nombre de victimes de l’ultralibéralisme que l’on néglige trop facilement.

En effet, le néo-libéralisme, ce nouvel avatar de notre économie n’est pas qu’une période anodine de notre histoire, mais bel et bien la cause d’un massacre qui se perpétue aujourd’hui, s’aggrave chaque jour, se traduit par des guerres du pétrole, l’abandon à leur sort des pays du tiers monde, la concentration de 80% des richesses dans les mains de 5% des habitants de la planète, et le refus de soins à des populations que l’on tient pour quantité négligeable, qu’on leur ait ou non fait payer des assurances pour en bénéficier. Le système tue bien davantage que le stalinisme, mais comme il rapporte aux décideurs…

A côté de cela, les victimes du stalinisme, sans les nier, ne me semblent pas faire le poids, d’autant plus que ce massacre stalinien, lui, est terminé alors que celui perpétré par le néolibéralisme, lui, ne fait que commencer.

Car la misère qui envahit le monde, comme le nombre des SDF qui envahit nos rues, comme le nombre de pays où on ne trouve d’argent que pour acheter des armes, et non des denrées alimentaires va en s’élargissant.

La misère s’empare de la planète comme une inondation qui monte inexorablement et envahit les étages pour n’épargner finalement que ceux qui ont une maison assez haute. La répartition des richesses aux USA va dans le même sens rétrograde que dans le reste de la planète, juste un peu plus vite : la proportion de ceux qui ont la tête hors de l’eau va en diminuant, et l’ouragan de la Nouvelle Orléans nous a montré comment des états entiers peuvent se retrouver sous l’eau au propre comme au figuré.

Malheureusement, ce film ne trouvera d’audience que dans les milieux déjà prévenus de cette alerte rouge : aux USA, les pare-feux sont déjà dressés, on a ravivé l’anticommunisme primaire et traîné devant les tribunaux notre Michael Moore qui a osé démontrer que le citoyen lambda était mieux soigné à Cuba qu’au pays.

On est en plein Aldous Huxley : Il est interdit de parler de ce qui dérange et de contrarier la vérité officielle. On réécrit l’histoire, on falsifie les faits, on argumente dans le vide et on ment sans vergogne. « Avec une médecine d’Etat, le patient ne peut plus choisir son médecin et le médecin n’est plus libre de choisir le traitement approprié ».

Non seulement aucune des incursions de Michael Moore dans un des nombreux pays « à médecine d’état » qu’il a visités pour faire son film, -y compris le nôtre- ne permet d’étayer pareille contre vérité, mais le bilan de son film démontre plutôt le contraire : dans l’exercice d’une médecine privée, si aucune disposition n’interdit effectivement au médecin traitant de pratiquer sa médecine au sens littéral, il en est quand même empêché par l’assureur du malade en étroite relation avec le comptable de l’hôpital. Ce libre-arbitre médical n’existe vraiment pour le médecin américain que lorsque son malade dispose d’un niveau d’assurance hors de portée du pouvoir d’achat du citoyen moyen. Il faut être, je ne sais pas, moi, député ou sénateur pour pouvoir se l’offrir. Tiens donc ?

Dès lors, pas étonnant que les médicaments valent cent fois leur valeur, puisqu’on en vend si peu.

Avis à ceux qui ont cru pouvoir élire pareil bonimenteur au pays de Voltaire et Rousseau, et qui seront les premiers à le regretter si d’aventure le programme dont ils n’ont vu que la partie immergée venait à se déployer dans son intégralité, pour ne pas dire dans son intégrisme.

Lorsque ce sera à eux que les assurances refuseront la prévention ou la thérapie capable de les sauver, il sera trop tard pour changer d’avis : ils auront fait monter à ce point l’inondation de la misère que ce sera à leur tour d’avoir la tête sous l’eau.

Le drame est que le populisme bien rôdé de notre régime tout-terrain multi carburant - couteau suisse à 15 lames – panacée universelle – élixir du Dr. Miracle ne semble plus promettre d’escale avant l’immersion totale : Le flot de la démagogie aura-t-il tout submergé avant les prochaines élections, que les machines à voter transformeront d’ailleurs en élection à la mode de Floride ?

Je crains qu’il faille effectivement descendre assez prochainement dans la rue pour enrayer le phénomène : les Français savent le faire, et il sera bon qu’ils n’attendent pas trop longtemps.

A propos de démagogie, de discours populiste et de communication bien biaisée, je disais dans mon article n°111 que la clé du système Sarko semblait une fuite en avant évènementielle, qui consistait à couvrir chaque avatar d’un événement nouveau à une vitesse telle que le commentaire de la nouveauté occultait dans l’actualité l’analyse des conséquences de l’exploit précédent. Quel n’est pas mon ravissement (et ma fierté, allez j’avoue,) de constater que l’éditorial presque entier du dernier Canard Enchaîné, « Changement de diversion » sous la plume d’Erik Emptaz, est précisément consacré à cette analyse d’un événement qui chasse l’autre avant même la retombée des miettes de l’explosion.

D’ailleurs, mes chevilles me permettant l’exercice, j’avais expliqué dans l’article précédent, le 110, que mon article 106 du 26 juin avait sonné le tocsin à propos des menées créationnistes de l’Islam en Europe, et que cette alarme avait retenti avec retard le 7 juillet dans Libération et le 11 juillet dans le Canard Enchaîné. Si l’intégrisme sarkobushiste fonde une dictature, j’irai en camp de redressement avant eux. Je me suis toujours senti une âme de précurseur.

Constatons pour nous consoler que « l’ouverture » et le débauchage de personnages non-politiques ne va pas sans une certaine cacophonie qui travaille à notre bien-être en l’absence d’opposition crédible.

Christine Lagarde, « la meilleure ministre que la France ait jamais eue aux finances » (dixit Sarko), annonce une politique d’austérité vigoureusement démentie dès le lendemain par Claude Guéant, porte parole de l’Elysée. Laurent Wauquiez, porte parole du gouvernement, lui, promet un « impôt plancher » énergiquement démenti dès le lendemain par Eric Woerth, ministre du budget. Rama Yade, secrétaire d’état aux affaires étrangères et aux droits de l’homme va soutenir à Aubervilliers des squatters frappés par une décision d’expulsion dûment prononcée par un tribunal de sa copine Rachida Dati, ministre de la Justice, démarche fermement désapprouvée le jour même par François Fillon qui trouve enfin là le moyen de rappeler qu’il existe, et Sarko lui-même piétine de ses talonnettes rageuses les traces de l’enterrement de la TVA sociale si imprudemment avancée par Borloo entre les deux tours, et reprise à la volée par Henri Guaino, pourtant conseiller spécial du président et auteur de ses discours de campagne…

Ajoutons à cela Fadela Amara, qui s’est attelée à un plan pour favoriser l’emploi dans les cités qu’elle a présenté avant-hier à Strasbourg, et qui serait une plutôt bonne idée si elle ne l’avait affublé trop bruyamment du délicat surnom de « plan anti-glandouille ». Les intéressés apprécieront. S’ils croyaient encore l’ex-présidente de « Ni putes ni soumises » persuadée de la bonne foi avec laquelle l’immense majorité des chômeurs de banlieue cherche vraiment un emploi, les voilà déniaisés. Fadela a franchi le pas, elle n’est plus de leur monde.

Les journaux télévisés de ce soir ont beau s’être évertués à adoucir « la périphrase », à nous montrer des « stages comportementaux de recherche d’emploi », le mot est lâché, et il fera sans doute, comme « karcher », son petit bout de chemin vers la célébrité.

Comme Rachida Dati, qui vient de voir le septième membre de son cabinet ramasser ses crayons, et « rejoindre un haut poste au ministère de l’intérieur ». « Casse toi, t’es pas de ma bande » dirait Renaud. Moi, je dirai plutôt que l’autorité éclairée est l’apanage des grands, et que l’autoritarisme aveugle des petits est le rouage de base des dictateurs. L'histoire l'a montré à de nombreuses reprises.

L’empereur a oublié que les maîtres des esclaves devaient vivre et habiter avec leurs esclaves. On s’habitue trop vite aux dorures et aux lambris des palais.

La récupération tous azimuts continue. Après s’être adjoint les services posthumes de Blum, Jaurès et Jules Ferry, et avoir débauché quelques socialistes en mal de notoriété et quelques « civils » gaffeurs, le sarkozisme s’attaque au monde associatif en tentant de s’approprier des valeurs telles que l’humanisme. Ainsi ce président d’une association philosophique réputée apolitique qui, dans un discours officiel, a proclamé que « son » humanisme à lui le conduisait à favoriser les actions d’un gouvernement créatif au lieu de se cantonner dans une « opposition pavlovienne ». Il fera ce qu’il veut de « son » humanisme, ce monsieur, moi je trouve que le réflexe pavlovien consiste justement à tout cuisiner aveuglément à la sauce UMP , et mon humanisme à moi consiste à m’opposer de toute mon énergie aux auteurs de mesure législatives qui favorisent l’imposition de 15% des citoyens au détriment des autres, les propriétaires au détriment des locataires, le droit des patrons au détriment de celui des salariés, le droit des « choisis » au détriment des « pas choisis », le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au lieu du devoir de croisade, et en général le droit du fric au droit des gens.

La dernière n’est-elle pas de trouver que « les patrons vont trop facilement en prison » lorsque « le risque financier se double d’un risque pénal ». L’actualité m’apprend que tous les patrons qui se sont fait pincer à mettre de l’argent là où il ne faut pas ont toujours fricoté avec l’argent des autres et jamais avec le leur. D’ici qu’on nous ponde une TVA de solidarité pour les pauvres chefs d’entreprises qui vivent au quotidien la hantise de l’huissier des fins de mois difficiles…

Et enfin une bonne nouvelle pour terminer : « Shortbus », ce film indispensable qui fait l’objet de mon article n° 69 vient de sortir en DVD. Si vous l’avez manqué lors de sa sortie en salle, ne vous privez pas de ce chef d’œuvre éducatif.

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