Cinquante six ans après l'abolition de
la troisième classe par la SNCF, quarante ans après la suppression
de la première classe dans le métro, Gaumont-Pathé vient de
réaliser un bond décisif dans la diffusion du cinéma et de la
culture.
A l'heure où le Louvre et Beaubourg
ouvrent des annexes en province pour offrir la culture au plus grand
nombre possible, eux, resserrent les conditions d'accès pour faire
carré VIP dans la salle, avec des trônes numérotés, s'exonérant
de file d'attente et accaparant un espace que le cinephilus
simplex, même en faisant la queue, ne peut plus occuper.
D'ailleurs, la presse spécialisée est
loin d'être unanimement favorable à une mesure manifestement mal
pensée, et les explications données par le circuit, qui prétend
avoir réinventé le son stéréophonique, qui existe depuis des
décennies, ne sont pas convaincantes.
A la rigueur, ils auraient transformé
une paire de petites salles en auditoriums de grand luxe...On aurait
pu penser que c'était la loi « impitoyable » du
commerce... D'ailleurs, il en existe, que l'on peut louer pour se
faire projeter tout ce qu'on veut. La nouveauté n'aurait été que
de la faire tourner en permanent.
Mais faire cohabiter dans le même
théâtre des nababs sur trône en cuir posés avec arrogance au bon
endroit et reléguant avec mépris le bon peuple dans les coins,
c'est réinventer une ségrégation dont le tissu social moderne se
passe volontiers.
C'est vrai qu'au théâtre, il y a les
fauteuils d'orchestre, le premier balcon, les autres balcons, les
galeries et les loges... Mais une séance de cinéma ne sera jamais
une représentation théâtrale...
Technicien du cinéma à la retraite,
j'ai été de longues années salarié successivement par ces trois
sociétés. D'abord, Pathé, puis Gaumont, puis par la fusion des
salles Gaumont et des salles Pathé intitulée Europalaces. Si j'ai
vécu, avec les deux premières, des moments relativement
intéressants, le dernier souvenir que je conserve de la troisième
est l'image d'un prétoire de prud'hommes dont je suis sorti perdant
peu de temps avant ma retraite. C'est dire si je ne suis pas surpris
des manières de cet exploitant, dont chaque initiative a heurté ma
culture cinématographique jusqu'au clash final...
Dans un cinéma, les meilleures places
sont effectivement le carré de fauteuils du milieu. -Plus ou moins
avancé suivant le rapport de taille salle/écran.
Et ceci pour deux raisons :
D'abord pour voir une image sans
déformation, des carrés bien carrés et des ronds bien ronds, il
faut être en face de l'image. Seuls les amoureux qui préfèrent
l'obscurité vont se terrer dans les coins.
Ensuite pour profiter du son
stéréophonique, dont les effets ne sont pas uniquement
gauche/droite, mais également avant/arrière, il faut également
être placé au milieu.
Votre serviteur en 1984, au Pathé-Marignan, sur les Champs Elysées...
La stéréo au cinéma, qui dispose en
général de six pistes, est déjà ancienne : ce ne sont pas
les nouvelles installations dont Pathé se prévaut qui vont
l'inventer. Sans doute sont-elles d'une qualité encore améliorée,
mais ce qui existait avant, même du temps de la pellicule, n'était
pas négligeable.
Avec le passage au tout-numérique,
c'est même devenu exceptionnel.
Les cinéphiles gèrent donc ces
critères pour se placer dans la salle, le plus près possible du
centre.
Ils ne pourront plus, sauf à s'offrir
le supplément Premium... Les titulaires de cartes d'abonnement,
autant dire les vrais cinéphiles, n'y auront plus doit, sauf à
s'acquitter d'un surclassement. Et pas rien : le supplément
serait de 2€ pour les titulaires de tickets « plein-pot »
et de quatre à cinq euros pour les abonnés.
Donc voir le film d'une mauvaise place,
ou payer quasiment le double. Consolons nous en nous disant que le
Wepler est une salle de version française, et que les cinéphiles
fréquentent davantage les salles de VO. Mais la carte d'abonnement
n'est pas l'apanage des seuls cinéphiles : bon nombre de petits
retraités en possèdent une pour assister aux séances de
l'après-midi, peu fréquentées en semaine, et où ils pouvaient
choisir librement leur place sans offenser le dieu marketing.
Personnellement, je ne suis pas
concerné : lorsque MK2 a « divorcé » de la carte
Gaumont-Pathé pour s'associer à l'UGC, je l'ai suivi :
J'habite près du MK2 Bibliothèque, qui est, de mon avis de
technicien, l'un des tous meilleurs cinémas de Paris. (Même s'il
faudrait d'urgence revoir les fauteuils, surtout dans le carré du
milieu!!!).
Néanmoins, l'avis du cinéphile que je
suis est que pour faire face à la dématérialisation des supports,
le cinéma doit baisser ses tarifs. Le passage, l'an dernier, au tout
numérique, qui supprimait d'énormes frais de laboratoire et de
copies en était l'occasion idéale. Or si les frais d'exploitation
ont baissé, le spectateur n'a pas vu baisser le prix du billet...
Enfin, et pour avoir travaillé
quarante ans dans des complexes cinématographiques, et non des
moindres, je m'interroge sur deux choses :
D'abord les modalités -pratiques-
d'application de cette stupidité : comment, une fois la salle
éteinte, empêchera-t-on les spectateurs de changer de place ?
Ensuite, la moindre contrariété d'un
spectateur se paie facilement cash par un fauteuil déchiré... Or
là, le mécontentement du spectateur frustré va être précisément
focalisé sur... les fauteuils...
De beaux casse-têtes en
perspective.. …...
Amusez-vous bien les gars, mais sans
moi ! Que c'est bon d'être à la retraite... !
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