Notre
service public est-il devenu un salon de thé avec service officiel
de nécrologie ? Utilise-t-il la mort des people pour détourner
désespérément l’attention des braves gens sur les problèmes du
moment ?
Pendant
mon petit déj, j’ai l’habitude d’écouter France Info. Hier,
j’ai appris que ce brave d’Ormesson était mort, aujourd’hui
que Johnny Hallyday avait rendu sa guitare.
Bon.
Ce sont des informations. Quelques commentaires, quelques rappels
utiles sur les carrières des défunts, ça fait partie du job. Mais
je suis arrivé au bout de mes croissants sans que la radio soit
arrivée à parler d’autre chose. Deux jours de suite, le reste du
monde a disparu derrière ces deux décès. Volatilisé. Escamoté.
A
midi, c’est télé. Je regarde parfois « Tout le monde veut
prendre sa place » en mangeant. Non que j’aie un goût pour
les jeux télévisées ni pour les plaisanteries lourdingues de
Naguy, que son psychiatre n’a toujours pas réussi à guérir de sa
fixette de savoir comment les couples se sont connus et où et
comment ils se sont fait leur demande en mariage.
Je
le regarde pour rire avec méchanceté de l’ignorance des
candidats, dont la plupart ne savent pas quelle est la capitale de la
Belgique ou qui a écrit les Misérables. Ils ont parfois des
réponses dignes de « la foire aux cancres », et comme je
suis un vieux grincheux, ça me fait rire.
Aujourd’hui
pas moyen. « Hommage non-stop à Johnny Hallyday ». Je me
dis que France Info - Télé pourra peut-être me donner quelques
bribes d’actualité. Je zappe. Toujours du Johnny à jet continu.
J’ai
donc été voir sur Arte un passionnant documentaire sur
l’acclimatation de la vigne à Tahiti, en me disant que je journal
de 13 heures de France 2 étancherait sans doute ma soif d’actualité.
Déception. Toujours du Johnny, avec en prime défilé des ploucs qui racontent en larmoyant la place que l’idole occupait dans leur vie, combien de fois ils l’ont vu en concert, et où quand comment, et combien ils ont de posters au mur de leur chambrette.
Alors
oui, bien qu’ils soient tous deux d’une droite opiniâtre, je
m’incline devant le talent. d’Ormesson était un vieux réac
minaudant pour cacher sa face obscure, mais un écrivain élégant et
prolixe, Johnny Hallyday, copain de tous les présidents de droite
pour espérer planquer ses impôts, un monument du patrimoine
culturel. Oui, ils sont incontournables, oui l’annonce de leur mort
a sa place dans l’actualité.
Mais
au point de la supplanter ? Fait-on des éditions spéciales,
des heures entières de rabâchage sur les milliers d’innocents qui
meurent chaque jour massacrés dans les guerres de religion au
moyen-orient ? Des éditions spéciales sur les milliers de
réfugiés qui croupissent dans des camps boueux, sur les milliers de
SDF qui grelottent dans nos rues ?
Non.
On fait des émissions inlassablement répétitives sur les affaires
judiciaires, avec un goût prononcé pour les plus sordides, avec
assassinat d’enfant si possible. Et quand il y a règlement de
compte familial ensuite, c’est une gourmandise pour l’audimat.
Doit-on
parler d’un attentat ? Le plus clair de l’information se
concentre sur les gens qui ont vu de loin, ceux qui connaissaient,
ceux dont le terroriste était un voisin, l’homme qui a vu l’homme
qui a vu l’ours…
Mais
pour entendre accuser frontalement ceux dont les politiques ont fait
qu’on en est arrivé là, il faut déjà lire une presse très
spécialisée, alors que ce serait un devoir républicain et citoyen
d’information et d’éducation que d’en faire les grandes sujets
de nos médias publics…
Tout
ce qu’on trouve à faire quand par hasard, un journaliste se
distingue en disant la vérité et en cherchant où il y a quelque
chose à trouver, c’est de lui couper ses crédits pour mettre son
travail au point mort… C’est ce qui est en train d’arriver à
Élise Lucet..
Bon,
j’admets être un brin en colère. Forcément, ça finit par
s’accumuler. Je déteste cette hypocrisie qui veut qu’on ne
trouve des qualités aux gens qu’après leur mort, qu’on fasse
des éloges funèbres larmoyants et interminables à des gens qu’on
a le plus souvent critiqués de leur vivant.
Je
hais cette bien-pensance bourgeoise qui veut qu’on se croie obligé
de faire des montagnes d’obséquiosité à chaque décès comme
autant de tentatives désespérées de se dédouaner de la peur de la
mort qui hante la société, mais contre laquelle on n’a pas
vraiment trouvé mieux que la religion et l’éloge funèbre. On est
tous pareil, mais les défunts sont toujours morts « avec
courage ».
Ce
n’est pas étonnant que le monde aille si mal, avec des médias à
ce point tournés vers le passé, et affublés d’œillères qui ne
leur permettent de voir – et de montrer - que ce qui invite les gens
à gamberger sur des sujets qui ne chagrinent pas le pouvoir.
Déjà
qu’on se plaignait de que nos journaux télévisés soient des
concentrés de documentaires sur la cueillette des olives en basse
Provence, la disparition des chalutiers de Concarneau et les
merveilles de l’artisanat improvisé de ces
citadins-retour-à-la-campagne qui redécouvrent avec émerveillement
que les poules font des œufs et comment on peut refaire au XXI°
siècle les pantoufles de grand’papa et les espadrilles en ficelle
d’osier.
Et
vous voulez nous priver de cela, transformer cette puissante
actualité en éloges funèbres à répétition. Jusqu’où voulez
vous nous abrutir ?
C’est
difficile de faire de l’information objective. Même lorsqu’on
prétend l’être, on n’est jamais que conforme à ses idées, et
on ne peut pas empêcher que des manipulateurs portant des messages plus
ou moins avouables ne s’infiltrent dans le concert de l’actualité
en enrobant leur dogme aride et leurs pensées dominatrices et
haineuses de suaves cuillerées de démagogie.
Même
la concurrence des médias payants n’est pas une garantie
d’objectivité. Elle ne fonctionne que pour un public « éduqué
pour choisir», or tous les médias utilisent les mêmes moyens de
propagande et de persuasion pour hypnotiser les foules hagardes.
Même
internet n’échappe pas à la règle : mon pauvre blog n’y
tient pas plus de place que les sites qui propagent la superstition,
le dogme et la haine.
D’autant
plus que je ne dispose pas des mêmes moyens qu’eux d’y être
référencé par les moteurs de recherche, puisque
l’effet-buzz-qui-fait-vendre veut que les médias parleront
davantage des prêcheurs de haine et de scandale que des apôtres de
paix et des chercheurs de vérité.
Parce
que n’oublions pas que la seule preuve de sincérité de quelqu’un
qui « cherche la vérité », c’est d’annoncer à
l’avance qu’il sait qu’il ne la trouvera pas.
S’il
veut vous la vendre, ce n’est pas la sienne, mais l’avis d’un dogme qui lui rapporte ou qui le rassure..
Tout
ce que l’honnêteté permet de faire en matière de vérité, c’est
d’apporter des éléments où chacun pourra puiser pour y bâtir la
sienne.
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