That is the
question.
Ce qui est
regrettable, c'est que si cela me concerne au premier chef, la
réponse n'en est pas pour autant entre mes mains.
Il faut que je vous parle de ma petite crise de conscience.
Dont deux érotiques
et un militant. Les érotiques se vendent plutôt bien. Je ne vais
pas m'en plaindre. Mais lorsque j'ai voulu faire œuvre utile avec un
livre militant… Pffft. Il ne se vend pas...
Et quelque part, ça
me déçoit. Je ne suis pas à quelques livres près, mais il
m'aurait plu que les livres utiles et militants se vendent au moins
autant que la pornographie...
Pour la petite histoire :
Je vais vous raconter quelques petits épisodes de ma vie Parfois, c'est
rigolo.
J'ai beaucoup
souffert d'homophobie lorsque j'étais adolescent. C'était en
province dans les années 60. Pourtant, j'étais un peu moins
malheureux que d'autres : la nature m'ayant, dès mon plus jeune
âge, pourvu d'une belle stature, j'ai rendu pas mal de baffes et de
coups à mes camarades tortionnaires, et tous les ennuis que j'ai pu
avoir avec les autorités du corps enseignant n'étaient pas pour des
« gestes déplacés » dont personne, de toute manière,
n'osait parler, mais pour violence à l'égard de mes pauvres petits
camarades homophobes. Il est vrai que j'étais volontiers provoquant,
n'hésitant pas à me masturber en classe pour leur démontrer qu'il
n'y avait pas de mal à se faire du bien. (Les lycées n'étaient
pas mixtes à l'époque...)
Bien que non violent
de nature, j'étais relativement en mesure de me défendre. Parce
qu'à l'époque, déjà, on accusait volontiers les gens d'être
homosexuels, mais seulement en hurlant avec les loups : ceux
dont le témoignage aurait permis d'établir les faits se gardaient
bien de l'apporter : ils auraient fallu qu'ils racontent
l'interdit et ils auraient à leur tour été salis. Parce que je
peux vous le dire : ils venaient quasiment tous goûter au fruit
défendu avant de se renier et de se ranger parmi les puritains
inquisiteurs. (cf le chapitre 2 de la Philosophie dans le
foutoir : « Les pédés attaquent à l'aube ».
)
Un jour, un de ceux
qui avait partagé tant de doux instants avec moi passa avec un tel
cynisme dans le camp de mes accusateurs que je donnai en public une
description précise des grains de beauté qu'il possédait là où
j'étais le seul à avoir pu les voir, au point que toute la classe
s'est jeté sur lui pour arracher ses vêtements et examiner les
pièces à conviction.
Le constat vérifia mes déclarations.. L'affaire se termina par une bagarre générale avec bris de matériel et de mobilier. Je fus exclu de l'établissement pour « incompatibilité d'humeur avec mes camarades », sans un mot des motifs précis de la querelle.
Le constat vérifia mes déclarations.. L'affaire se termina par une bagarre générale avec bris de matériel et de mobilier. Je fus exclu de l'établissement pour « incompatibilité d'humeur avec mes camarades », sans un mot des motifs précis de la querelle.
Six mois après, mon
accusateur revint me trouver pour se faire pardonner sa trahison et
quémander de nouvelles gâteries, n'ayant sans doute trouvé
personne qui les prodiguât aussi bien que moi.
Être en mesure de
se défendre façon Obelix ne fut pas le cas de quatre de mes
camarades de lycée, et d'un camarade de service militaire qui, entre
quinze et vingt ans, ont mis fin à leurs jours pour se soustraire
aux persécutions homophobes qui étaient à l'époque fort cruelles et
totalement banalisées. La cause de ces suicides, je la connais avec
certitude pour l'avoir partagée avec eux. Quand je dis camarades, ils étaient bel et bien des camarades de jeux intimes et d'amitié. Il
n'y a aucun doute sur les causes du drame.
Tous sont partis en laissant à leurs parents la fameuse lettre : « Vous ne pouviez pas me comprendre ». Personne, à l'époque, ne pouvait « comprendre l'homosexualité ». Par contre, on comprenait très bien l'homophobie : Celui qui se serait plaint d'une agression homophobe se serait entendu répondre par n'importe quelle autorité : « C'est bien fait pour toi... »
Tous sont partis en laissant à leurs parents la fameuse lettre : « Vous ne pouviez pas me comprendre ». Personne, à l'époque, ne pouvait « comprendre l'homosexualité ». Par contre, on comprenait très bien l'homophobie : Celui qui se serait plaint d'une agression homophobe se serait entendu répondre par n'importe quelle autorité : « C'est bien fait pour toi... »
Ces cinq amis
manquants, ces cinq deuils que l'on n'est pas prêt à porter de
quinze à vingt ans, surtout quand on est seul à en connaître le
secret, je les avais dans ma petite valise lorsque j'ai débarqué à
Paris, par le plus grand des hasards en mai 68.
Pourquoi n'ai-je pas
été le sixième ? : Parce que dès douze ou treize ans,
alors que j'étais déjà bien certain de mon fait homosexuel, j'ai
été tirer la sonnette d'un habitant de mon quartier que tout le
monde m'avait conseillé d'éviter à cause des rumeurs
d'homosexualité qui couraient sur son compte. C'était un homme
d'une quarantaine d'années, il devait « savoir », je
voulais qu'il m'explique. Non pas le « comment », -ça,
j'avais déjà trouvé !-, mais le « pourquoi ».
Né à la campagne dans les Vosges, il avait été arrêté à 17 ans par les nazis pour
homosexualité lors d'une promenade de drague à Phalsbourg, emprisonné jusqu'à ses 18 ans, puis déporté à Flossenburg avec un triangle rose.
Lorsqu'il m'a raconté ce qu'il avait vécu, j'ai compris que je
devais vivre et me battre. Pour moi, et pour les autres, et pour que
de telles choses ne puissent pas se reproduire.
A Paris en mai 68,
je n'eus aucun mal à trouver le quartier homosexuel de
Saint-Germain-des-Prés, et je peux me targuer d'avoir bu maintes
bières au premier étage du Flore (C'était là que ça se passait) à la table de Roger Peyrefitte, de Marcel Carné,
de Hubert Deschamps et de bien d'autres. De là à me retrouver, à
deux rues de là, dans les amphis des Beaux Arts, rue Bonaparte, où
se rassemblaient les ferments de ce qui allait devenir le FHAR (Front
homosexuel d'action révolutionnaire), il n'y avait qu'un pas à
franchir, ou plutôt que quelques braguettes à ouvrir, qui ne me
résistèrent pas longtemps.
Le FHAR ne se
manifesta publiquement qu'en 1971, lorsque les échos de Stonewall
(juin 1969) et des deux premières Gay Pride en mai 1970 à Los
Angeles et San Francisco parvinrent en Europe, mais le noyau
de l'agitation parisienne existait déjà de manière informelle
depuis mai 68.
En France, nous
devons beaucoup à tous ceux et celles qui ont osé défiler avec un
zeste de démence, telles les Gazolines. Lorsque les premiers
militants du FHAR ont défilé en blue-jean le 1° mai 1971 avec la
CGT, les journalistes les ont passé sous silence. Peut-être même
pas remarqué. D'autant plus que la CGT avait tenté de les
repousser.
Mais lorsque les Gazolines, l'année suivante, ont déferlé dans les rues avec tutus roses, collant léopard, fesses à l'air, strass et perruques fluo, même la télévision est venue. Le principe de la Gay Pride était né. Quelques années de maturation allaient conduire vers le premier grand défilé de 1977 et la première Pride à proprement parler en 1982.
Souvent, les gens nous demandent "Mais pourquoi donnez-vous à la Gay Pride cette image "cage aux folles" des homosexuels ? Eh bien, voilà la réponse: lorsqu'on y va en tenue de ville, les gens ne nous voient pas.
Mais lorsque les Gazolines, l'année suivante, ont déferlé dans les rues avec tutus roses, collant léopard, fesses à l'air, strass et perruques fluo, même la télévision est venue. Le principe de la Gay Pride était né. Quelques années de maturation allaient conduire vers le premier grand défilé de 1977 et la première Pride à proprement parler en 1982.
Souvent, les gens nous demandent "Mais pourquoi donnez-vous à la Gay Pride cette image "cage aux folles" des homosexuels ? Eh bien, voilà la réponse: lorsqu'on y va en tenue de ville, les gens ne nous voient pas.
J'ai assisté à
toutes ces manifestations, mais je ne suis pas du genre à porter des
tutus roses. Je devais militer autrement. Ce fut l'écriture. J'avais
la plume facile, il fallait en profiter. Je m'attelai rapidement à
la tâche, mais le monde éditorial de l'époque était très
conventionnel et peu enclin à la transgression. Je jetai deux ou
trois manuscrits à la poubelle avant de penser en tenir un
présentable : « Traité de chasse au minet ».
Le titre paraît incongru aujourd'hui, mais nous sommes dans les années 70. Mon idée était de convaincre les jeunes, la France de demain, de ne pas plier sous le joug hétéronormé et d'affirmer son éventuelle homosexualité, ou du moins sa tolérance à son égard dès que possible. A l’époque, il n'y avais pas de console de jeux et les jeunes lisaient encore couramment.
Le titre paraît incongru aujourd'hui, mais nous sommes dans les années 70. Mon idée était de convaincre les jeunes, la France de demain, de ne pas plier sous le joug hétéronormé et d'affirmer son éventuelle homosexualité, ou du moins sa tolérance à son égard dès que possible. A l’époque, il n'y avais pas de console de jeux et les jeunes lisaient encore couramment.
45 éditeurs m'ont
renvoyé le manuscrit, parfois sans commentaire, parfois avec des
injures, et même quelquefois contre remboursement des frais postaux
de retour ! Je décidai donc de m'auto-éditer. La première
typographe rendit son tablier, refusant de taper des horreurs
pareilles. "J'ai des enfants, moi Monsieur!". Je n'eus pas de problème chez l'imprimeur, mais un
relieur refusa la tâche considérant le titre de l'ouvrage au regard de l'âge de ses apprentis. Tenant
enfin mon livre fabriqué, je le présentai à Hachette, afin qu'il
soit distribué en librairie.
Hachette était à
l'époque en position de monopole sur le marché de la distribution,
son seul « concurrent », Garnier, étant en réalité sa
filiale ! Et la réponse était claire : nous ne
distribuons pas les auteurs auto-édités, seulement les éditeurs
professionnels. "Vous pouvez nous faire un procès: vous le gagnerez. Mais dans dix ans et à quel prix?". Marché verrouillé. Avec en plus ce commentaire :
« Vous êtres complètement fou : vous en avez imprimé
cinq mille ! Les éditeurs professionnels n’impriment pas un
premier livre d'un auteur inconnu à plus de mille cinq cents ! ».
Qu'à cela ne
tienne : avec la foi du charbonnier, je mis des cartons de
livres dans le coffre de ma petite auto, et en avant la tournée des
libraires. Je rends encore grâce aujourd'hui aux courageux qui ont
osé braver Hachette et m'acheter directement des livres : Les
Mots à la Bouche qui venait alors d'ouvrir dans le 18° à Barbès,
les « drugstores Publicis » Saint Germain et Matignon, la
Fnac de la rue de Rennes et le Furet du Nord, à Lille sur la
Grand'Place. Le reste se vendit par correspondance à l'aide d'un
seul petit encart publicitaire dans Libération et dans Gai Pied.
J'ai épuisé mes
cinq mille exemplaires en trois mois. Désolé pour «la
compétence des éditeurs professionnels». J'ai renouvelé le
pari l'année suivant avec « Détournement de majeur »
dont j'ai vendu trois mille dans la foulée de la même manière et
dont il me reste plus que quelques dizaines…
Puis je me suis
essayé à d'autres genres : « Julien », le journal
d'un amoureux transi, et « La Philosophie dans le Foutoir »,
(mon préféré...), une fresque érotico-sociale, ou socio-érotique comme ou voudra, pour lesquels j'avais trouvé un
éditeur qui est décédé entre la signature et
la fabrication. Le repreneur n'a pas repris le catalogue gay, c'est pas
propre, et les droits m'ont été rendus.
Mes meilleures
ventes étant déjà les livres érotiques et non pas les livres plus
sérieux, j'ai décidé d'en éditer un de plus, avec d'autant plus
de facilité qu'il était déjà écrit : pendant les années
80, ma rage d'écrire m'avait amené à participer à presque tous
les magazines gay qui fleurirent dans notre douce France. Et ils
furent nombreux, entre les Union, les Confessions, les Lettres, les
Gay ceci et les Gay cela. La base d'un bon magazine était de publier
des photos érotiques et des feuilletons du même acabit. Rien de tel
pour fidéliser le lecteur.
En fait, je dois
confesser aujourd’hui que dans certains d'entre eux, j'écrivais, sous différents pseudonymes, la quasi-totalité du magazine ! Non seulement l'éditorial et l'article de fond du mois, mais aussi l'horoscope -à quoi je ne connais rien-, et le
courrier des lecteurs, -les lettres et les réponses- !
De cette période, il me restait nombre de feuilletons érotiques que je n'avais qu'à rassembler pour faire un livre. J'en avais un bon stock d'avance, à ce jour invendus, dont les droits m'appartenaient sans contestation possible.
D'ailleurs, je trouve aujourd'hui sur des sites de "lectures gay" qui existent ça et là sur le web, et sous la signature d'un autre, un bon nombre d'histoires qui furent publiés jadis sous un de mes différents pseudonymes. Quelques vieilles tantes s'amusent à briller en micro-société en usurpant ma modeste littérature... Sans doute ont-ils ressorti avec nostalgie de leurs greniers quelques vieux exemplaires tachés de leurs émois de jeunesse.
Après de longs combats contre les photocopies de l'époque, qui avaient tendance à s'effacer en vieillissant et les fichiers illisibles sur des floppy-discs pour lesquels il n'existe plus de lecteur, je trouvais un titre approprié pour ce recueil : « Histoires à lire d'une main » et sans même m'assurer la participation d'un fabricant de serviettes essuie-tout, je le mis en vente sou forme électronique sur Amazon. Succès immédiat.
De cette période, il me restait nombre de feuilletons érotiques que je n'avais qu'à rassembler pour faire un livre. J'en avais un bon stock d'avance, à ce jour invendus, dont les droits m'appartenaient sans contestation possible.
D'ailleurs, je trouve aujourd'hui sur des sites de "lectures gay" qui existent ça et là sur le web, et sous la signature d'un autre, un bon nombre d'histoires qui furent publiés jadis sous un de mes différents pseudonymes. Quelques vieilles tantes s'amusent à briller en micro-société en usurpant ma modeste littérature... Sans doute ont-ils ressorti avec nostalgie de leurs greniers quelques vieux exemplaires tachés de leurs émois de jeunesse.
Après de longs combats contre les photocopies de l'époque, qui avaient tendance à s'effacer en vieillissant et les fichiers illisibles sur des floppy-discs pour lesquels il n'existe plus de lecteur, je trouvais un titre approprié pour ce recueil : « Histoires à lire d'une main » et sans même m'assurer la participation d'un fabricant de serviettes essuie-tout, je le mis en vente sou forme électronique sur Amazon. Succès immédiat.
Bilan : mes
deux meilleures ventes sont les livres pornographiques ou quasiment :
« Histoires à lire d'une main », qui ne fait manifestement pas couler que de l'encre, et dans une moindre
mesure, « La Philosophie dans le Foutoir », que je ne
peux que vous conseiller si la lecture du premier vous a fait du
bien.
Et là : crise
de conscience : tout cela n'est pas très militant. L'homophobie
reprend vigueur depuis la manif pour tous, les agressions se
multiplient, que puis-je faire ?.
Je mets donc toutes
mes tripes dans l'écriture d'un livre vraiment militant que j'espère
utile :
« Homophobie
et Coming Out ». Il se vend très peu. Pendant que mes
pornographies continuent à prospérer.
J'en parle sur ma
page Facebook : « Mes livres cochons se vendent bien, mon
livre militant ne se vend pas... »
Que croyez-vous
qu'il arriva ? A la suite de ce post, les livres érotiques
connurent un sursaut de popularité, (plusieurs dizaines en quelques
jours) et je n'ai vendu qu'un seul exemplaire de « Homophobieet Coming Out » pendant cette période.
A désespérer.
1 commentaire:
Un grand oublié dans cet excellent article: Le Pedalopitheque !!!
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