Si j'avais su ce qui allait se passer
cette semaine, j'aurais gardé mon titre du précédent billet: « On n'efface rien et
on recommence » pour le remaniement auquel nous venons
d'assister.
Lorsque les édiles socialistes,
François Hollande en tête, viennent nous dire :
« Message reçu, nous vous avons
entendu, on va rectifier le tir »,
on se demande bien quels Français ils
ont pu aller écouter....
Monsieur le Président,
Nous avons élu un président de gauche
pour qu'il fasse une politique de gauche. Nous espérions une
politique vraiment de gauche, par exemple la promesse tenue de séparer les
banques d'investissement et les banques de dépôt, une vraie grande
simplification du mille-feuille administratif de l'administration,
une lutte contre la réaction financière et morale avec des moyens
coercitifs et appropriés, un vrai développement des enseignements
civique et humaniste dans les écoles et collèges, un grand élan
de fraternité qui aurait arraché la France à la fange des petites
haines communautaristes dans laquelle votre prédécesseur l'avait
volontairement enlisée.
Alors, comme rien de tout cela
n'apparaissait à l'horizon, on vous a pourri les élections
municipales pour vous faire comprendre que nous étions toujours là,
qu'on vous voyait avec désespoir prendre une direction opposée au
bulletin de vote par lequel nous vous avons élu, et qu'il ne
faudrait pas attendre six mois avant votre réélection pour vous
souvenir de notre existence.
Sans doute inspiré de l'aura du
fondateur du « je-vous-ai-comprisme », vous avalez une
grosse boisson énergétique avant une intervention télévisée qui
nous a fait croire un instant que vous aviez compris.
Et finalement, quelle est cette
réponse ?
« Vous vouliez que j'aille plus à gauche ?
Eh bien j'irai encore moins... »
Vous nous sortez un premier
ministre sur lequel l'étiquette « de gauche » frise la
limite de la publicité mensongère. Le moins à gauche de ce que
vous avez dans le magasin...
En vous disant peut-être : « Je
suis le président de tous les Français » ? Votre
prédécesseur, qui l'avait pourtant dit aussi, s'est-il soucié du
peuple de gauche pendant qu'il lacérait le tissu social, détricotait
le code du travail, dressait les Français les uns contre les autres
et suscitait des révoltes qu'il brandissait ensuite comme des enjeux
sécuritaires ?
Rien que pour effacer les ravages et
dévastations qu'il a provoqués, pour ramener l'équilibre « au
milieu » il faudra plusieurs années de barre « à gauche
toute », faire pencher la balance à gauche aussi longtemps et
aussi fort que votre prédécesseur l'a entraînée à droite. Ce
n'est qu'après avoir ainsi reconstruit les valeurs de la république
que vous pourrez vous soucier d'une politique apaisée.
Votre prédécesseur a voulu déplacer
les frontières naturelles de l'échiquier politique : effacer,
supprimer les bornes gauche/droite, ouvrir un libre accès entre
droite républicaine et et extrême-droite. Cela ne lui a pas
réussi.
Ne tombez pas dans les mêmes travers.
La gauche vous a élu. En refusant de l'entendre, vous allez, comme
ce pauvre Sarkozy, déplacer des frontières naturelles.
Certes il y a des nuances :
Sarkozy s'est volontairement rapproché de l'extrême droite. Dans
votre cas, c'est en vous éloignant déraisonnablement de la vraie
gauche que vous obligez une partie de votre électorat à se
cramponner à elle pour ne pas glisser avec vous vers la droite.
Sans parler de ceux qui lâchent prise et tombent dans le ravin du
front national.
Mais attention : mêmes causes,
mêmes effets... Comme la droite, la gauche va se diviser. Vos
sociaux démocrates vont s’assimiler au centre, qui, comme chacun
sait, est une droite qui ne dit pas son nom, et la gauche de gauche
va se rapprocher de l’extrême gauche.
Le résultat est le même : comme
la droite l'a été, la gauche est maintenant morcelée et désunie.
Les seuls socialistes n'ont qu'une voix de majorité à l'assemblée
nationale. S'ils vous suivent trop loin de la gauche, beaucoup de
députés socialistes vont craindre de ne pas retrouver leurs
électeurs dans trois ans s'ils dérapent à droite avec monsieur
Valls. Vous n'aurez qu'une menace de dissolution pour les faire
avancer de force, mais c'est une arme de destruction massive qui fait
beaucoup de dégâts collatéraux. Demandez à Monsieur Chirac...
Le vote de confiance au gouvernement
que vous allez leur demander dans quelques jours risque d'être
sportif, et surtout aléatoire: Un seul député tousse de travers, et Monsieur Valls
valse... A moins qu'il ne soit conforté dans sa position par des
votes de droite venus au secours du travesti politique que vous
présentez à leurs suffrages ? Vous y perdriez ce qui reste de
votre crédibilité.
Et chaque fois qu’il faudra voter une
loi, le moindre texte, vous devrez le vider de son esprit réformateur
pour qu'il passe sans encombre sous la fourche caudine de cette
infime majorité. Et si cette loi passe avec les voix de droite,
encore une fois vous perdrez le soutien et l'estime de ceux qui vous
ont élu.
Le rêve d'une harmonieuse coalition
démocratique reste une utopie.
D'abord parce qu'il se heurte au
carriérisme des élus dans une société française où, à tous les
postes sauf le vôtre, on peut se représenter et se faire réélire
toute sa vie inlassablement.
Ensuite parce que éplucher des lois
pour les faire passer par le trou de serrure d'une majorité pleine
de contradictions, cela oblige à les vider de leur sens et de leur
innovation. Cela tue les réformes. On ne gouverne plus, on survit.
Monsieur Sarkozy n'a pas pris de gants
pour appliquer sa politique ultra-libérale et socialement
destructrice. Rien que pour ramener le curseur au centre, il faut
agir avec la même vigueur dans l'autre sens.
Et après, seulement après, on pourra
faire une politique de gauche, celle pour laquelle les Français vous
ont élu.
A bon entendeur...
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