L'exercice du pouvoir provoque-t-il une
névrose qui pousse nos dirigeants à s'attaquer à des libertés
individuelles qu'ils ont défendues becs et ongles lorsqu’ils
étaient dans l’opposition ?
Deux exemples dans l'actualité :
les projets de loi sur la prostitution et sur la répression des
discours de haine sur internet.
Ces deux sujets voient leur traitement
affectés de la même paresse, du même manque d'énergie, et surtout
de la même hypocrisie :
on s'attaque à la partie émergée de
l'iceberg parce qu'on peut la voir, en feignant d'ignorer le fond du
problème, dont le traitement est, bien entendu, beaucoup plus
difficile.
Effet d'annonce, apaisement de la conscience au rabais, mais, dans la pratique, bien plus de dégâts collatéraux que d'effets positifs.
Effet d'annonce, apaisement de la conscience au rabais, mais, dans la pratique, bien plus de dégâts collatéraux que d'effets positifs.
Commençons par le projet de loi sur la
prostitution...
...qui consiste à pénaliser le client en
croyant qu'on va, avec ce coup de couteau dans l'eau, éradiquer à
la fois le plus vieux métier du monde et le proxénétisme.
Depuis des milliers d'années, le
pouvoir et les croyances qui les gouvernent ont voulu empêcher la
prostitution. Enfin, plus modestement, empêcher qu'elle soit trop
visible car ce sont bien souvent les mêmes grenouilles de bénitier
qui la fustigent dans leurs discours et qui y recourent avec
empressement sitôt dépouillés des oripeaux de leur autorité.
On tombe tout de suite dans le grand
guignol lorsque quelques égéries, quelques agitateurs ou quelques
politiques en mal de reconnaissance veulent ériger en valeurs
universelles les fantasmes qui les travaillent.
Exemple aux États Unis, où, à la
différence de l'Europe, aucune loi ne vient protéger les
homosexuels et où l'homophobie est devenu un produit commercial
comme un autre, de virulents politiciens et prédicateurs homophobes se font couramment prendre avec la main dans la culotte d'un zouave.
Il existe même des sites qui leur sont dédiés, un hit parade de leurs méfaits,
et de savantes études sur le sujet.
Après ce préambule duquel chacun
tirera les conclusions qui lui conviennent, envisageons ce projet de
loi bien de chez nous qu'on nous prépare sur la prostitution, et qui
consisterait à pénaliser les clients.
Au nombre des effets positifs, le but
recherché ne sera pas atteint. De Paris, on peut aller à Bruxelles
en deux heures de train, à Londres en trois heures, ça ne va pas
pénaliser grand monde. Au lieu de tirer un petit coup vite fait, on
se fera des week end d'étude et des stages de formation
soigneusement organisés.
En Suède, où on a appliqué la
mesure, on constate toute l'horreur des dégâts collatéraux. Toutes
les braves filles qui n'avaient rien trouvé de mieux pour vivre
décemment et élever leur gamin que d'aller faire des rencontres au
coin de la rue sont livrées à la déshérence, privées de
ressources, de loyers, jetées à la rue avec leur enfants.
Par contre, une véritable industrie a
vu le jour : Aucun endroit de la Suède n'est à plus de cent
kilomètres d'un grand port. De là, tous les soirs, des vedettes
rapides emmènent les clients à l'extase à bord de ferries
transformés en bordels flottants ancrés au large, et donc délivrés
des lois du pays, où ces voyageurs d'une nuit peuvent se livrer le
plus légalement du monde à leur passe-temps favori. Mais sur ces
bateaux, les filles ne sont plus de libres prestataires de service,
mais des troupes embrigadées par les armateurs qui abattent le
travail à des cadences et des tarifs qu'elles ne maîtrisent plus.
Messieurs les proxénètes peuvent
remercier les puritains suédois pour une loi qui a fait leur
fortune. Car si les bordels étaient contrôlables aussi longtemps
qu'ils avaient pignon sur rue, et que les contrôles sanitaires et
sociaux pouvaient s'y exercer, ils ne le sont plus dès lors qu'ils
sont délocalisés en pleine mer hors de l'emprise territoriale des
autorités.
En France, nous aurons moins de bateaux
que les Suédois, encore que, mais nous aurons tous les inconvénients
de l’application du système. Déjà très entravée par un système
répressif incohérent et décousu, la prostitution française a
commencé à apprendre à se cacher. Si on la pénalise davantage,
notamment en s'attaquent aux clients, elle se cachera davantage, se
réfugiera dans un maquis plus profond et plus inextricable encore et
deviendra complètement hors de portée des rares et pauvres services sociaux et
sanitaires qui s'en occupent encore. Il ne faut pas croire un instant
que les proxénètes reculeront devant la difficulté : non
seulement la pègre en a vu d'autres, mais elle sait que c'est
justement l'illégalité de son activité qui est porteuse de
profits. Le commerce légal, c'est pour les « caves ». La
pègre vit, se nourrit de l'illégalité. Aggravez la, vous
l'enrichissez.
L'échec de la prohibition, qui n'a pas
frappé que les États Unis, mais également la Russie et le Canada
au début du XX° siècle devrait rester dans les mémoires :
Outre les milliers de morts dans des fusillades et les autres
milliers d'innocents emprisonnés pour avoir bu un verre, elle n'a
jamais enrayé, ni seulement fait diminuer la consommation d'alcool
dans les pays qu'elle a frappé. Au pire, les alcools sains y ont-ils
été remplacés par des alcools frelatés. Al Capone et de nombreux
autres caïds lui doivent sanglantes fortunes. Aux USA, ses plus
fervents défenseurs furent les pasteurs blancs racistes et le
Ku-Klux-Klan, qui militèrent, souvent armes à la main, pour son
application. La qualité de ses partisans devrait permettre de resituer ce genre de mesure
sur l'échelle des droits de l'homme.
Imaginons ce que seront les dégâts
sociaux et humains qui accompagneront cette manne offerte aux
proxénètes : un brave citoyen lambda va confier son extase du
samedi soir à une spécialiste et se faire arrêter par la police.
Nuit en garde à vue, convocation au tribunal, grosse amende et frais d'avocat qu'il
sera difficile de cacher à madame la légitime. Qui, le plus
souvent, demandera le divorce. Drame social. Vies brisées. Enfants
déchirés entre des parents séparés par une loi irresponsable.
Tout cela pour avoir voulu appliquer l'ordre moral de monsieur le
curé de la manière la plus imbécile?
Sans doute faut-il reprendre tout le
problème du début. D'abord vu avec recul : les femmes ont
demandé pendant des décennies l'égalité avec les hommes et la
libre disposition de leurs corps. Dans nos pays, elles l'ont obtenu,
dans d'autre pays, elles le demandent encore.
Et maintenant, là où elles l'ont
obtenu, elles réclament le contraire au nom d'un féminisme mal
compris...
Rappelons d'abord que la prostitution,
ce n'est pas le cliché du vieux « libidineux » qui
cherche de la chair fraîche. C'est peu-être facile à médiatiser,
mais le stéréotype est mensonger. Ce sont, certes, des hommes qui
veulent des femmes, mais aussi des hommes qui cherchent d'autres
hommes, et ce sont aussi des femmes qui cherchent des hommes et des
femmes qui cherchent d'autres femmes.
La prostitution, ce n'est pas non plus
que de l'abattage, du « au suivant » à la Jacques Brel,
c 'est bien souvent un petit bout de relation qui se noue, et qui
répond -parfois réciproquement- à des lacunes affectives, des
sentiments de solitude ou des injustices de la vie. Les puritains
sont plus obsédés par leur frustration que les gens normaux par
leur sexualité, voici une excellente occasion de le proclamer.
Et enfin, contrairement à ce qui est
rabâché par les médias en quête de gros titre racoleur, la
prostitution ne se résume pas à la partie visible de l'iceberg, ces
quelques malheureuses soumises à des vilains messieurs que l'on voit
le long des routes obscures ou dans des camionnettes à la lisière
des bois. C'est aussi le fait de milliers d’étudiants, de mères
célibataires, de pauvres gens qui ne peuvent plus boucler leur fin
de mois, et qui prennent sur internet des rendez-vous discrets.
Des sites internet entiers leurs sont
dédiés, remplis de milliers, de millions d'annonces. Mais cela, on
ne veut pas le voir. Pour que le Fouquet's club puisse rentrer à
Neuilly sans voir un seul travesti en traversant le bois de Boulogne,
on veut priver des milliers, peut-être des millions de Français et
de Françaises d'un mode relationnel qui, outre qu'il les sauve de la
délinquance ou de la rue, leur apporte parfois bien plus qu'un petit
frisson : une relation à laquelle le caractère de
semi-anonymat confère une puissance de réconfort, de confidence et
de partage que les psys les plus onéreux ne peuvent pas apporter.
Si on veut éviter la traite des êtres humains, améliorer la vie des prostitué(e)s, garantir la santé publique, fournir un exutoire légal et respectueux à la pression sexuelle la plus naturelle tout en assurant la sociabilité de ceux qui ont moins de facilités que d'autres pour faire des rencontres et briser leur isolement, il faut au contraire réglementer le travail du sexe, donner des garanties de santé et de sécurité aux travailleurs et à leurs clients, et organiser un système assez cohérent pour rester imperméable aux pouvoir des proxénètes, au marché noir et à la délinquance. Autant dire tout le contraire de ce qu'on nous prépare, qui va jeter tous les protagonistes dans une précarité plus grande encore.
Alors, cessons de nous tromper
d'ennemi, et attaquons nous vraiment aux proxénètes au lieu de nous
battre contre leur effigie. Certes, ça ne va pas être facile :
ce sont de grosses vilaines racailles qui se baladent dans des 4x4
noirs à vitres fumées, n'hésitent pas à casser des dents quand on
les contrarie, et éventuellement à truffer de plombs un policier
qui les ferait trop chier. Ils ont des ramifications internationales,
des complices, des hommes de main, et le pouvoir de l'argent mal
gagné.
Alors, leur traque va être difficile,
coûter cher en moyens et en personnel. C'est plus facile de
persécuter un malheureux client, surtout si on ne se préoccupe pas
des désastres sociaux qu'on va occasionner. Mais faut-il céder à
la facilité ?
Cette loi qui consiste à pénaliser le
client est plus qu'une loi imbécile, c'est une loi nuisible,
néfaste, lâche, qui tourne le dos à ses objectifs supposés.
La loi contre les publications internet
inappropriées
Dans le même genre d'erreur
d'objectif, d'inefficacité garantie, de discours qui sonne faux et
d'effet d'annonce, le gouvernement, toujours sous la houlette de
Najat Vallaud Belkacem, -déjà porte étendard de cette loi sur la
prostitution, - veut nous infliger une autre loi aussi grotesque
qu'inutile.
Dans le but, louable, de lutter contre
les publications racistes, sexistes, homophobes et autres pas
convenables qui se multiplient sur internet, une loi veut impliquer les hébergeurs et fournisseurs par les tuyaux desquels passeraient
ces inconvenantes publications.
On ne va pas se refaire de longues
explications, juste une parabole. Ça plaira aux intégristes. Vous
êtes l'heureux propriétaire d'une maison qui, comme toutes les
maisons respectables, possède des murs. Un mauvais plaisant vient
tagger ou coller sur votre mur une inscription ou une affiche pas
convenable du tout.
Vous êtes responsable ! Si vous
n'aviez pas possédé ce mur, cette provocation n'aurait pas existé !
Vous serez donc poursuivi pour possession de mur !
Pendant ce temps, l'auteur de
l'inscription continue à courir, à multiplier d'autres étrons
graphiques, mais qu'importe : on tient un coupable, facile à
trouver, interpellable sans risque, et cerise sur le gâteau :
solvable, puisqu'il possède des murs !
Pénaliser les hébergeurs pour ce que
les anonymes y déposent, c'est aussi con que de pénaliser les
propriétaires de murs pour les affiches que les anonymes y collent
ou de poursuivre un trottoir parce qu'un chien y a fait son
caca.
Ce qui m'ennuie, c'est que derrière
ces deux mesures qui défient l'intelligence et la logique, on trouve
la même personne, qui me faisait jusqu'ici très bonne impression,
et que je tenais même pour raisonnable et sensée: Najat Vallaud
Belkacem.
Je n'ai pas de réponse à ce dilemme.
Tout au plus pourrais-je souhaiter que le gouvernement dont elle est
porte-parole se livre moins à la chasse au dahu, prenne les
problèmes « par les cornes » au lieu d'agiter des muletas démagogiques, et nous montre qu'il est capable de faire
face aux affaires au lieu de les esquiver façon toréador.
Le gouvernement précédent aggravait
les problèmes auxquels il prétendait s'attaquer, celui-ci les élude
comme une libellule qui vole entre les branches.
Ils ont pourtant montré qu'ils
savaient être fermes avec le mariage pour tous, la taxation des
clubs de football et quelques autres mesures de second plan. Pourquoi
s'arrêter en si bon chemin ? Ce n'est plus qu'une question de
volonté.
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