Si une goutte fait déborder le vase, c'est qu'il est
déjà plein...
A droite, on maîtrise parfaitement la
machine à perdre. On l'utilise avec talent, en choisissant avec soin
les mauvais choix qui conduisent à la défaite, comme l'oreille
attentive que Sarkozy prêta à l'au-delà-droitiste Patrick Buisson,
et qui, ajouté aux traits insupportable de son caractère, précipita
sa défaite. (je dis au-delà-droitiste puisqu'on ne peut plus dire
« extrême »...)
A gauche, on maîtrisait moins bien la
machine à perdre, mais comme on a voulu l'utiliser quand même, on
l'a laissé s'emballer...
Même ce qu'ils ont fait de bien, ils
l'ont mal fait. Prenons l'exemple du mariage pour tous. Mesure
« délicate » qu'il fallait voter en trois semaines,
sitôt l'élection, pour bien asseoir l'autorité de la nouvelle
législature en démontrant, par un vote énergique, qu'on n'avait
pas peur des décisions difficiles. Ce que Mitterrand et Badinter
avaient fort bien fait en abolissant la peine de mort à
rebrousse-poil d'une opinion publique défavorable en 1981.
Là, pour le mariage pour tous, c'était
pourtant plus facile : l'opinion publique était favorable, mais
l'aspect sexuel du sujet rendait néanmoins la démarche périlleuse.
Alors, au lieu de frapper rapidement un grand coup, on a ergoté
pendant sept longs mois, délai évidemment mis à profit par la
malbaisance nationale pour constituer de larges stocks d'eau bénite
et répéter ad libitum « Maréchal nous voilà ».
La suite, on la connaît :
l'agrégation de tous les grumeaux de nationalisme, de tous les
miasmes d'intégrisme, de toutes les chiures de conservatisme rance,
de toutes les frustrations d'orgasmes manqués et de tous les
principes d'autoritarisme fasciste dans un mouvement soulevé par la
malbaisance, cimenté par la haine, animé par la jalousie,
aiguillonné par le rejet des minorités, sublimé par les
superstitions, qui a envahi les rues et internet en laissant derrière
elle un ordre social plongé dans le désordre et l'incertitude.
Pour être sûr de bien mécontenter
tout le monde, on a voté le mariage pour tous, mais en le vidant
largement de son sens, puisque la PMA restait autorisée aux
hétérosexuels et interdite aux homosexuels, ce qui a permis à ses
ennemis de grimper au rideau sans que ses partisans en soient
satisfaits.
Comme la colère des uns et des autres
semblait encore insuffisante aux auteurs inconscients de ce
dispositif législatif ubuesque, on a passé et repassé cette
fameuse PMA sous le nez de ses demandeurs deux fois avant de la
remettre au placard, une fois dans la loi du mariage, et une seconde
fois dans la loi sur la famille. Ainsi, les réactionnaires ont eu
deux occasions de répandre leur putréfaction sociale, et les
progressistes ont perdu tout espoir de se voir compris un jour par un
gouvernement qu'ils avaient pourtant élu parce que « le
changement, c'était maintenant »...
Mais s'il n'y avait que cela...
Il fallait aussi séparer les banques
de dépôt et les banques d'investissement... Raté.
Dans le domaine fiscal, on attendait de
la gauche une réforme de l'impôt qui améliorerait le caractère
équitable de la contribution de chacun. Ce souci d'égalité passait
forcément par la transition de l'impôt indirect (inéquitable, tout
le monde paie la même TVA) vers l'impôt direct, proportionnel aux
revenus. Il a donc semblé urgent de faire le contraire : c'est
la TVA qui a augmenté, élargissant le fossé entre le pouvoir d'achat des nantis et celui des moins fortunés.
Il fallait aussi secourir d'urgence les
citoyens de plus en plus nombreux passés sous le seuil de pauvreté.
Raté. C'est aux pauvres entreprises qu'on a versé des subsides plus
de deux fois supérieurs à ceux, tant critiqués, offerts jadis par
Sarkozy aux patrons du Fouquet's Club.
Il fallait encore, en interdisant le
cumul des mandats et le carriérisme politique au long cours,
régénérer la classe politique et lui intégrant des porteurs
d'idées nouvelles et en décourageant le mandarinat. Zut... Encore
raté.
L'abolition des privilèges, c’était
le 4 août 1789 et le 25 août 1792. Tout est à recommencer...
On a même poussé le vice jusqu'à
faire protéger, par un sénat « de gauche », Serge
Dassault du passage de la justice. On notera que si, comme il
le prétend lui-même, il n'avait rien à se reprocher, il
n'avait que la démonstration de son innocence à attendre de
l'action de la justice. Sauvegarder son immunité parlementaire est,
de la part de ses pairs, une sorte de baiser qui tue : c'est
l'aveu implicite qu'il aurait des choses à cacher...
Toutes ces faiblesses et ces
renoncements encourage les révoltes ponctuelles : si on recule
devant mon voisin, on reculera aussi devant moi. Chacun y va de sa
manifestation, de sa jacquerie et de la protection de ses petits
avantages corporatistes : qui n'a pas manifesté ? Les
taxis, les ambulanciers, les routiers et les Bretons contre une
écotaxe pourtant votée dans l’indifférence par le gouvernement
précédent, les sages femmes montent dans le train de la
contestation, et les enseignants s'agitent contre une réforme des
rythmes scolaires pourtant faite à l'image du reste de l'Europe.
Le président oublie sa position au
dessus des partis et prétend trancher dans des affaires de droit
commun, ce qui le place dans une humiliante position de dialogue
direct avec Leonarda... Le « casse-toi pauvre con » de
son prédécesseur n'avait pas eu de conséquences aussi
désastreuses..
Il y a aussi les trucs complètement
idiots dans lesquels ils auraient pu éviter de mettre les pieds,
comme cette loi inique et stupide sur la prostitution, dont les
effets seront désastreux et complètement opposés au but recherché.
Ajoutons à cela les cacas d'oiseau
tombés du ciel, comme l'affaire Cahuzac et les virées nocturnes en
scooter avec un casque à visière fumée..
J'en oublie ? Sans doute.
En plus, on croyait que les socialistes
étaient des gens courageux. Alors, les voir cacher la PMA dans le
placard comme une chose honteuse au prétexte que quelques illuminés
du crucifix et quelques pétainistes en transe nostalgique ont défilé
dans la rue, c'est pour moi la goutte d'eau qui fait déborder un
vase déjà plein à ras-bord. Notre président ne serait-il dur que
dans son lit ?
On s’indignait il n'y a pas si
longtemps sur les commentaires droitistes à propos du capitaine du
pédalo. On était loin d'imaginer que ce pédalo était à ce point
menacé de naufrage.
Maintenant que les quinquennats
coïncident avec les législatures, comment allons-nous terminer cet
épisode si mal engagé ?
Pire : maintenant que la boîte de
Pandore est ouverte, et que tous les démons sont revenus dans
l'espace public avec leurs cortèges de haines, de velléités
discriminatoires, de féodalité, de superstitions et de dogmes, de
principes autoritaires et d'inhumanité, comment allons-nous rétablir
l'ordre républicain ?
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